Marseille : quand les narcotrafiquants graissent les pattes des représentants de l'État

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William Molinié // Crédit photo : Nicolas TUCAT / AFP , modifié à
La guerre à Marseille contre les narcotrafiquants est-elle en train d'être perdue par l'État ? C'est ce que dénoncent les magistrats de la deuxième ville de France, qui s'inquiètent notamment de la potentielle corruption des forces de l'ordre. Et pour convaincre des policiers ou des douaniers à leur rendre un service, les dealers utilisent plusieurs méthodes, souvent persuasives. 

L'alerte est donnée. Ce mercredi, les magistrats de Marseille n'ont pas caché leur inquiétude face à la guerre que mène l’État contre les narcotrafics. Pour ces derniers, l'État est sur le point de perdre la bataille, qualifiant la cité phocéenne de "narcoville", décimée par "les narchomicides". La faute, entre autre, à l’asymétrie entre des moyens étatiques limités et les ressources des trafiquants de drogue, qui, avec 3 milliards d’euros de chiffre d'affaires chaque année, parviennent à soudoyer les agents publics. Car le risque de corruption est immense lorsque de telles sommes sont en jeu. La procureure de Paris, Laure Beccuau s’inquiétait il y a encore quelques jours du "risque de corruption au sein de nos propres institutions".

Des méthodes bien rodées

Pour réussir à soudoyer les policiers, les gendarmes ou encore les douaniers, les trafiquants utilisent trois façons. D’abord, la méthode, à l’ancienne. Ils recrutent le fonctionnaire par la pression, l’intimidation, parfois la violence. Des membres de la famille de l’agent public peuvent même être kidnappés en échange d’informations sur une enquête en cours ou sur un clan rival.

Deuxième levier, les trafiquants identifient des policiers vulnérables, ceux qui s’estiment mal payés, par exemple, ou qui ont l’appât du gain et qui seraient prêts à gagner plus contre quelques entorses à la procédure. Enfin, troisième et très récent mode d’action : une sorte d’ubérisation de la corruption. Le phénomène a émergé ces dernières années sur les réseaux sociaux. Les dealers publient des petites annonces sur des boucles de messageries sécurisées. Ils proposent entre 50 et 100€ en échange d’une fiche de recherche ou d’un procès-verbal.

Anticiper les opérations policières

Objectif pour les narcotrafiquants : savoir ce que les policiers ont sur eux dans leurs fichiers pour mieux contourner les règles. Ainsi, si les criminels arrivent à savoir si tel ou tel dealer va déclencher une alerte au passage d’une frontière, cela va leur permettre de mieux organiser sa fuite. Certains veulent aussi savoir qui les a dénoncés. Sur Instagram, des fils de discussions sont spécialement dédiés à ce sujet, avec des dizaines et dizaines de pages de PV, tous issus des fichiers de police ou de l’administration pénitentiaire.

Les agents publics les plus courtisés, ce sont les douaniers et la police aux frontières. Ils permettent aux organisations criminelles de faire passer leur drogue dans les flux de marchandises. Le graal, pour les trafiquants, est d’être prévenus en amont d’une opération policière dans leur quartier pour avoir le temps de mettre la drogue à l’abri et de s’éclipser avant la descente de police.

Un phénomène qui passe sous les radars

En face, ces méthodes inquiètent les autorités car la corruption est très difficile à détecter. Ce sont généralement des petites sommes qui passent de main en main, avec des mouvements quasiment invisibles sur les comptes en banque. Et surtout, aujourd’hui, les agents peuvent consulter depuis chez eux les fichiers de police et transmettre les informations directement aux trafiquants, sans même jamais les avoir rencontrés. Mercredi, le procureur de Marseille, Nicolas Bessome a appelé à un sursaut devant la commission d’enquête du Sénat. 

Greffiers, agents pénitentiaires, douaniers, gendarmes, policiers… le nombre d'enquêtes a été multipliées par deux à l'IGPN entre 2021 et 2022. Des faits qui restent toutefois à relativiser, puisque la police des polices a ouvert 56 dossiers en 2022, contre 30 l'année précédente. Le tout alors qu'en France, près de 150.000 fonctionnaires de police ont accès aux fichiers.