Lisa, 62 ans, raconte comment sa fille est devenue prostituée après une relation toxique : "Son copain est devenu son gourou"

Delacroix
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Guilhem Dedoyard , modifié à
La fille de Lisa est actuellement prostituée. Profitant de sa faiblesse, son petit-ami puis ses camarades de classe l'ont séquestrée et poussée dans un réseau de prostitution dont sa mère est incapable de la sortir. Lisa témoigne au micro d'Europe 1 de son calvaire et de celui de sa fille.
TÉMOIGNAGE

Lisa a 62 ans, elle est retraitée et maman d'une jeune femme de 29 ans, avec qui elle n'a pratiquement plus de contact depuis 2009, date de début d'une relation toxique avec son petit ami. Profitant de sa vulnérabilité, l'homme et sa famille l'ont séquestrée plusieurs années, lui faisant perdre tout repères. En 2012, influencée par des élèves de son école, la fille de Lisa est entraînée dans un réseau de prostitution dans lequel est toujours. Dans la Libre antenne, au micro d'Olivier Delacroix sur Europe 1, Lisa raconte l'absence de sa fille et la grande détresse dans laquelle demeure cette dernière. Voici son témoignage :

"On a eu ma fille en 1990. Son père est parti quand elle avait à peu près 4 ou 5 ans. Il a refait sa vie et il a eu deux autres filles. Ma fille était de trop. Elle le voyait de temps en temps, mais au fur et à mesure du temps, il a changé de comportement. Il la voyait de moins en moins. Moi j’avais un travail très prenant, je travaillais jour et nuit parfois plus de 20 heures. 

Ma fille manquait un peu de confiance en elle, elle était fragile psychologiquement et elle a souffert de l’absence de ses parents. Mais elle était très entourée par les amis qui venaient à la maison, je faisais en sorte qu’elle ne soit pas isolée. On habitait la proche banlieue, c’était un peu comme un village, elle avait beaucoup de copines. Donc elle a eu une enfance heureuse.Ma fille est très sociable, elle a bon caractère mais elle n’avait pas de discernement. Pour elle, tout le monde était beau et gentil, elle ne voyait pas les gens malveillants. A 18 ans, elle suçait encore son pouce et sa tétine, elle avait l’apparence d’une petite fille.

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Je n’ai plus revu ma fille, la famille de son copain l’a retenue

Vers les 13 ou 14 ans elle a commencé à se scarifier. Je l’ai mise en pension entre 14 et 16 ans, jusqu'en 2006. Elle avait une scolarité à peu près normale mais très moyenne. Elle a du s’arrêter en troisième car je n’ai pas trouvé d’établissements d’enseignement général pour l'accepter. Elle avait un côté artistique assez développé, donc je lui ai trouvé une école de photo privée, qu’elle a intégrée, entre 2006 et 2008. Elle commençait à reprendre un peu d’assurance.

Elle avait rencontré un jeune homme plus âgé, qui passait son bac de photo.Il avait eu son diplôme et il n’allait plus en cours. Ma fille redoublait, après avoir eu son CAP, pour passer le bac pro photo. Puisqu'il n’allait plus en cours, alors elle non plus et elle allait chez lui. Je l’ai su quand j’ai reçu un relevé d’absence, le 9 octobre 2008. Les dates, ça vous marque à vie. Elle avait 8 jours d’absence non justifiés. Elle m’a dit 'maman je te promets que je ne recommencerai plus'. Le jour suivant j’appelle l’école, qui me dit que ma fille n’est pas en classe. J’appelle ma fille qui me dit qu’elle va s’y rendre. Elle ne l’a pas fait. A partir de là, je n’ai plus revu ma fille.

La famille de son copain l’a retenue. Son copain était un peu bizarre. Elle vivait un amour platonique et son copain est devenu un 'gourou'.Je suis allée voir la sous-directrice de l’école qui l’a appelée. J’entendais ma fille qui pleurait au téléphone. Elle était malheureuse là-bas. La sous directrice a demandé à ce que ma fille ait un entretien avec moi, elle a dit oui, mais la famille ne l’a pas laissée venir. Elle a envoyé un SMS à son père, qui est venu la voir dans la famille. Et il leur a dit de ne plus la laisser à l’école et de ne plus la laisser me voir.

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Elle s’était transformée en Cosette et on lui disait qu’elle avait pris son indépendance

Six jours après, la police est venu sonner chez moi avec ma fille et son père et là, on m’a interdit de parler à ma fille. J’étais un peu malmenée. Elle a pris quelques affaires, un petit baluchon, elle est partie et je l’ai plus revue. Ma fille était blême, elle tremblait. Elle était déjà déstabilisée et pas bien. Je me suis rendu au commissariat de ma commune, on m’a dit d’aller à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). On m’a convoquée par téléphone au mois de janvier pour une confrontation avec les policiers qui étaient venus, mais je n’ai pas pu car j’étais affaiblie par l’histoire de ma fille. J’avais perdu pied, j’étais dans un tunnel.

Elle n’allait plus à l’école que trois ou quatre jours par mois. Le 2 décembre, ma fille était à l’école, avec son petit copain qui l’attendait. J’étais avec un ami à moi, que ma fille connaît bien et qu’elle appelle tonton. J’ai dû demander à son petit copain l’autorisation de parler à ma fille. On est allé dans un café.En aparté, elle m’a dit 'tu sais je pleure tous les soirs. Ne dit pas à papa que je t’ai vue car il ne veut pas que je te parle. Je fais le ménage et le repassage pour subvenir à mon logement. Je n’ai pas choisi'.

Elle s’était transformée en Cosette et on lui disait qu’elle était majeure et qu’elle avait pris son indépendance. En juin 2009, je suis retournée au commissariat, les gendarmes sont allés voir comme allait ma fille mais ils n’ont pas tenu compte de l’emprise psychologique. Ils me l’ont passée au téléphone et elle criait et disait ‘je vais me suicider’. Moi j’avais porté plainte contre la famille qui bloquait ma fille et ça a été classé sans suite.

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Ma fille était détruite, cassée, elle était déjà perdue

Elle a été exclue en 2009 de l’école de photo car elle n’y allait plus et la famille et son père lui ont dit que c’était ma faute. Elle a été rescolarisée en 2010, par miracle, à l’école digitale, où elle passait son bac pro d’infographie, communication et artisanat. Ma fille était détruite, cassée, elle était déjà perdue. Je l’ai vue deux ou trois fois chez moi, toujours avec son copain, je la voyais parfois dans d’autres lieux.

Ma fille a été embrigadée par des personnes de l’école. Elle a été enlevée et enrôlée dans des réseaux de prostitution sur internet, où elle est encore actuellement, avec un magazine international sous couvert de publicité et de mode. Le jour elle est prostituée dans une start-up, la nuit dans des endroits privés. Elle a disparu entre 2012 et 2016, je ne savais plus où elle était. Et j’avais été voir la famille qui disait qu’elle n’était pas chez eux. J’avais à nouveau porté plainte. En 2013, je l’ai retrouvée sur internet sur des photos, mais je ne savais toujours pas où elle était. Je suis tombée dessus par hasard, sans que ces gens le sachent. J’ai pris un détective et ils ont tout planqué. 

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out le monde la consomme comme un objet

J’ai finie par la retrouver dans une autre famille, dans le même département. Elle est complètement marginalisée, tout le monde la consomme comme un objet. Je le sais parce que j’ai les photos, je vois les commentaires du style : 'que ce soit par-devant ou par-derrière c’est pareil'. Ma fille est rarement avec la famille, et quand c’est le cas elle est à l’écart.Je l’ai rencontrée en 2016, maigre comme un clou, dépressive, violente. Elle est conditionnée. Je pense qu’elle dort dans la cave.

Elle est complètement droguée, elle n’est plus elle-même.En 2017, mes sœurs l’ont vue aussi. Elles m’ont dit : 'elle a l’âge mental d’une fille de 6 ans'.Ce n’est pas évident d’agir car ma plainte a été classée et surtout ma fille n’est plus elle-même. En 2017, ils ont convaincu ma fille de porter plainte contre moi. Ils ont pris un avocat. Moi j’ai pris deux détectives, quatre avocats, j’ai fait appel à des associations, personne n’a rien pu faire. Elle a 29 ans aujourd’hui, elle a subi un lavage de cerveau et elle a été séquestrée. Elle est plus qu’en danger, elle est en danger de mort."