"Liberté d'expression" : des personnes atteintes de trisomie 21 en appellent au Conseil d'Etat

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En 2014, le CSA avait envoyé une lettre d'avertissement aux chaînes qui avaient diffusé un clip montrant des personnes atteintes de trisomie 21 qui s'employaient à rassurer les futures mamans d'enfants atteints de cette anomalie chromosomique © Capture d'écran YouTube
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En 2014, le gendarme de l'audiovisuel avait interdit un spot TV visant à rassurer les femmes qui attendent un enfant atteint de trisomie 21.

 

>> Mise à jour 18h - La rapporteure publique du Conseil d'État a préconisé mercredi le rejet des requêtes déposées par les sept jeunes atteints de trisomie 21 et une association anti-IVG reprochant au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'avoir "porté atteinte à leur liberté d'expression" après la diffusion d'un film controversé.

C'est une première en France. Sept personnes atteintes de trisomie 21 participent mercredi à une audience publique devant le Conseil d'Etat. Ces sept requérants réclament l'annulation d'une décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel  (CSA) en date de juin 2014. A l'époque, le CSA avait envoyé une lettre de recadrage aux chaînes de télé qui avaient diffusé un clip publicitaire (toujours visible sur YouTube). Dans ce clip, plusieurs trisomiques s'emploient à rassurer les futures mamans d'enfants atteints de cette anomalie chromosomique. Mais selon le CSA, la vidéo n'a pas sa place dans un espace publicitaire.

De quelle vidéo parle-t-on ? "Dear future Mom", le nom du clip, a été tourné à l'occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21, en mars 2014, par l'agence publicitaire italienne Saatchi & Saatchi. Celle-ci travaillait pour l'association transalpine CoorDown, qui milite pour l'intégration des personnes atteintes de trisomie 21. Le financement, lui, venait de plusieurs associations venant de toute l'Europe.

De jeunes trisomiques y expliquent qu'un enfant atteint de cette anomalie peut très bien "être heureux", "faire des câlins", "dire 'je t'aime', "aller à l'école" ou "trouver un appartement". Le spot avait décroché deux trophées d'or et deux d'argent aux Lions de Cannes 2014, un festival qui récompense la créativité dans la publicité et la communication. En France, plusieurs chaînes avaient accepté de le diffuser, dont M6, Canal + ou D8 (aujourd'hui C8). Et sur internet, la vidéo dépasse les sept millions de vues.

Qu'avait décidé de CSA ? Mais quelque temps après la diffusion du clip en France, le Conseil d'Etat avait envoyé une lettre d'avertissement aux chaînes de TV. Saisi de "plusieurs plaintes de particuliers", selon le courrier rapporté à l'époque par Le Figaro, le CSA juge que le clip n'est pas d'"intérêt général" et "n'a pas sa place dans un écran publicitaire". Reconnaissant que le message de ce clip s'inscrivait "dans une démarche de lutte contre la stigmatisation des personnes handicapées", le CSA estimait qu'"il aurait pu être valorisé par une diffusion mieux encadrée et contextualisée, par exemple au sein d'émissions". Selon le CSA, la vidéo "était susceptible de troubler en conscience des femmes qui, dans le respect de la loi, avaient fait des choix de vie personnelle différents". D'après le CSA, le clip risque de culpabiliser ou de heurter les femmes enceintes qui ont décidé d'avorter, ou celles qui l'ont déjà fait.

Le CSA n'a donc ni censuré, ni interdit formellement le clip. Mais avec cette lettre d'avertissement, il incite les chaînes à ne plus recommencer. Et cela semble, visiblement, avoir fonctionné. "Depuis ce rappel à l'ordre du CSA, il devient compliqué d'avoir de l'espace gratuit sur les chaînes de télévision pour faire passer ce genre de message", indique ainsi Emmanuel Laloux, président du Collectif des amis d'Éléonore, mercredi dans Le Figaro. "Cela devient tabou de dire qu'on peut être heureux avec des enfants trisomiques. Il y a de la suspicion et des amalgames avec le combat des pro-vies (anti-IVG ndlr). Pourtant, je ne milite absolument pas contre le droit à l'IVG. Je voudrais seulement que le regard change sur les personnes trisomiques, qu'elles soient mieux acceptées", poursuit le président de cette association qui milite pour le droit des personnes atteintes de trisomie.

Qu'attendent les requérants ? En réaction à cette décision du CSA, Inès, une adolescente française (17 ans) présente dans le clip, a motivé six de ces amis parisiens à saisir le Conseil d'Etat. Ces sept requérants dénoncent aujourd'hui une "atteinte à la liberté d'expression" et entendent faire annuler ce courrier d'avertissement. "Ces jeunes demandent que leur parole soit reconnue comme une parole de citoyens à part entière, sans qu’elle ait besoin d’être 'contextualisée' ou 'encadrée', pour reprendre les termes de CSA", explique au journal La Croix Corinne Bebin, la mère de l’un des requérants. "Leur démarche est très importante car du respect de la liberté d’expression découlent en fait tous les autres droits à vivre et s’épanouir comme n’importe qui", poursuit la maman. "On veut que le clip reste. Pour que moi et mes amis, on soit considéré par les autres. Pourquoi on nous empêche de parler à la télé? On fait du sport, de la musique, on a été à l'école. Je suis embauché en restauration collective", renchérit dans Le Figaro Jean-Baptiste, l'un des sept plaignants.

L'association Les Amis d’Eléonore et la Fondation Jérôme Lejeune - une association d'inspiration chrétienne dite "pro-vie", qui aide la recherche sur la trisomie 21 et milite contre l'avortement ou l'euthanasie – ont également déposé une requête devant le Conseil d'Etat. Mais les sept jeunes assurent agir "de leur propre initiative". Ils ont, d'ailleurs, décidé de se présenter mercredi sans avocat, pour défendre eux-mêmes leur liberté d'expression. La décision de la Haute juridiction, quant à elle, n'est pas attendue avant plusieurs semaines.