Le récit tragique de Paul Grappe, le déserteur travesti

Portrait de Paul Grappe.
Portrait de Paul Grappe. © BNF Gallica
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Chez Christophe Hondelatte, l'historien et directeur de recherche au CNRS, Fabrice Virgili, évoque l'histoire de Paul Grappe, un jeune homme devenu travesti pour échapper à la guerre.

L'histoire a été adaptée il y a peu de temps au cinéma, devant la caméra d'André Téchiné dans le film Nos années follesChez Christophe Hondelatte, Fabrice Virgili, directeur de recherche au CNRS, raconte ce récit fou, de la vie de Paul Grappe, un déserteur devenu travesti pour échapper à son sort.

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Une nuit de juillet 1928, la concierge d'un immeuble du quartier de Charonne, à Paris, est réveillée par un coup de feu. Peu après, une des habitantes vient frapper à sa porte. Il s'agit de Louise Grappe. Elle est en larmes et raconte qu'elle vient de tirer sur son mari. Les autorités prévenues, Louise Grappe est emmenée à la police où elle s'explique. Ni l'officier qui l'écoute, ni personne d'autre, n'est prêt pour l'histoire qu'elle va raconter.

"Au départ, il ne rechigne pas à faire la guerre". Louise Grappe explique que son mari était violent, un alcoolique, qui la frappait et hurlait à longueur de journée. Interrogée, la concierge confirme : Paul Grappe était invivable. Mais Louise Grappe va se lancer dans une histoire bien plus rocambolesque. Elle a rencontré Paul en 1911, dans un cours de mandoline. Ils filent le parfait amour tous les deux jusqu'au jour où Louise découvre que Paul a une maîtresse. Lorsqu'il apprend que sa femme est au courant, il entre dans une rage folle, lui dit qu'il est pour l'union libre et qu'elle doit se mêler de ce qui la regarde.

Puis vient la Première Guerre mondiale. Paul est appelé au front. Il va se battre comme Caporal dans la Meuse. Blessé une première fois, il l'est une seconde. Paul Grappe craque. "Au départ, il ne rechigne pas à faire la guerre", explique Fabrice Virgili, "mais comme toute une génération, il va être envoyé en août 1914, le mois le plus meurtrier. Un tiers de son régiment a été mis hors de combat", souligne le spécialiste. Paul Grappe décide donc qu'avec cette deuxième blessure, il ne retournera pas dans cet enfer. Alors qu'on veut le renvoyer au front une troisième fois, il déserte et rejoint Louise à Paris.

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Fabrice Virgili et Christophe Hondelatte © Europe 1

"En s'habillant en femme, il échappera à la guerre". Mais un homme de l'âge de Paul qui n'est pas au front à ce moment-là, c'est louche. Alors non seulement Paul et Louise changent de quartier, se rendent à Nation, mais pas seulement. Paul Grappe va avoir une autre idée. "Il a l’intuition qu'en s'habillant en femme, il échappera à la guerre", indique le directeur de recherche au CNRS. Désormais Paul sera Suzanne.

Pendant que Louise va travailler, Paul reste dans leur appartement. Mais il finit par s'ennuyer, seul toute la journée. Alors il sort dehors, en Suzanne. Et être une femme, cela plaît à Paul. Il aime être dragué par des garçons, attirer les regards. Alors bien vite, il couche avec des femmes, mais aussi avec des hommes.

Sous ses nouveaux traits, Paul/Suzanne va vivre une vie sexuelle très débridé, pendant que sa femme travaille pour faire vivre le foyer. Il l'oblige même, un jour, à faire l'amour avec un autre devant lui, pendant qu'il regarde. Aux policiers qui écoutent cette histoire, Louise raconte que Paul n'avait que le sexe comme obsession, qu'il ne pensait qu'à ça.

"Entre être une femme et un homme, il hésite". Puis en 1925, tout bascule. Le cartel des Gauches arrive au pouvoir en France et il décide d'amnistier tous les déserteurs de la Première Guerre mondiale. La République passe l'éponge. Paul Grappe, qui retrouve son véritable état civil, ne laisse pas indifférent. Son histoire fait parler. Au point, le 4 février 1925, de faire la une du Petit Journal. "Son histoire est parue dans de nombreux journaux, à trois reprises, au moment de l’amnistie", souligne Fabrice Virgili. C'est à partir de ce moment-là que Paul Grappe va basculer dans l'alcoolisme et la dépression. "Entre être une femme et un homme, il hésite", raconte l’historien, "et son alcoolisme est aussi sans doute lié à ce qu’il a vécu pendant la guerre, et qui ne le lâche pas. Ce que l'on a appelé la névrose de guerre."

Paul est de moins en moins sobre, de plus en plus extrême avec Louise Grappe, jusqu'à cette fameuse nuit de juillet 1928, où elle finit par le tuer pour se protéger elle, et son enfant malade, que Paul voulait frapper. Un procès aura bien lieu en 1929. Défendu par le célèbre avocat Maurice Garçon, Louise sera acquittée.