La lutte contre les algues vertes va-t-elle assez loin ?

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G.S.
La Bretagne a connu son pire printemps en matière de prolifération d’algues vertes. Et la réponse apportée par les collectivités peine à convaincre. 

"La nature est très injuste", déplorait Thierry Burlot, vice-président de la région Bretagne chargé de l'environnement, jeudi lors de la présentation du deuxième plan de lutte contre les algues vertes (PLAV). "Les résultats en matière de reconquête de qualité des eaux sont incontestés avec une teneur en nitrate dans les rivières qui diminue. Mais nous avons encore des échouages massifs, la nécessité de poursuivre s'impose", exposait-il, reconnaissant ainsi les échecs des efforts faits jusqu’à présent.

Les baies bretonnes viennent en effet de connaître leur pire printemps depuis 2002 en matière de prolifération des algues vertes, ces végétaux marins qui dégagent un gaz dangereux lors de leur putréfaction. Aux mois d’avril et de mai, leur superficie a été deux à trois fois supérieure à la moyenne de ces 15 dernières années. Et le Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA) prédit que l’été ne sera pas épargné.

" Le seul moyen de parvenir à une maîtrise des échouages est ‘d'affamer’ les algues en azote "

La principale cause de prolifération établie scientifiquement est la fertilisation des champs (épandage d'engrais azotés et de déjections animales). Cette dernière est jugée responsable à plus de 90% des flux de nitrates qui enrichissent les cours d'eau, puis nourrissent les algues vertes, présentes dans la mer à l'état naturel au même titre que d'autres algues. "Le seul moyen de parvenir à une maîtrise des échouages est ‘d'affamer’ les algues en azote, ce qui suppose d'atteindre des concentrations en nitrates extrêmement basses dans les cours d'eau et, donc de faire évoluer en amont les pratiques agricoles", souligne ainsi la préfecture dans un communiqué.

Le second plan de lutte présenté jeudi prévoit donc la mobilisation de 55,5 millions d'euros d’ici à 2022, répartis entre l’Etat, la région et les collectivités concernées. Ces fonds permettront de poursuivre les mesures lancées par un premier plan (environ 100 millions, étalé entre 2010 et 2016) : couverture des sols entre deux cultures pour éviter la fuite des nitrates, création de plus grandes zones de pâturage pour limiter la culture de céréales, constitution de fosses à lisier qui ne débordent plus etc. Deux collectivités prévoient par ailleurs un système dit "gagnant-gagnant", qui permettrait aux agriculteurs de bénéficier de l'aide d'une entreprise de travaux agricoles selon leur degré d'engagement dans l'amélioration de leurs pratiques.

" Les objectifs affichés sont notoirement insuffisants "

Reste que ce plan est jugé nettement insuffisant par de nombreux acteurs. Selon des chiffres avancés par la communauté de communes Lannion-Trégor, particulièrement touchée, le  premier plan a permis de réduire la production de nitrate de 40 milligrammes par litre et par an à 23. Le second, deux fois moins ambitieux, espère faire passer cette production en dessous des 20 milligrammes. Or, d’après une étude relayée par le comité scientifique de l’environnement de Bretagne, il faudrait réduire cette production à 10 milligrammes pour que la superficie des algues baisse significativement et à 5 pour que celles-ci disparaissent.

Dans un communiqué, l'association Eau et rivières de Bretagne (ERB) a estimé que "les objectifs affichés de réduction des nitrates à l'horizon 2027 sont notoirement insuffisants". ERB réclame ainsi une réforme de la politique foncière dans la région, alors que la moitié des exploitations vont changer de mains au cours des dix prochaines années. "Cette politique doit privilégier l'attribution des terres libérées au profit des exploitations agricoles durables et non polluantes", insiste-t-elle.

" La Bretagne reste prise dans une contradiction "

Au cœur de l’enjeu : trouver un équilibre entre les exigences environnementales et économiques. "La Bretagne reste prise dans la contradiction d’un modèle agroalimentaire qui la pollue tout en pesant lourd dans son économie. C’est ainsi que dans le Finistère, à Landunvez, Plovan et ailleurs, des propriétaires de porcheries déjà très importantes se sentent soutenus dans leur souhait de s’étendre encore, y compris contre l’avis des commissaires enquêteurs", résume Le Monde jeudi.

La région et la préfecture de Bretagne promettent de concert de tout faire pour favoriser "une agriculture rémunératrice qui génère de faibles fuites d’azote", dixit le vice-président de la région. En attendant, les communes n’ont pas d’autres choix que de couper l’accès aux baies ou de fermer leurs plages, comme c’est déjà le cas à Hillion, dans les Côtes-d’Armor. Dans 59 autres communes, où, selon le Monde, le risque est jugé élevé, une pareille décision pourrait bientôt suivre.