La baguette a-t-elle une chance d’entrer au patrimoine immatériel de l'Unesco ?

Baguettes pain
La baguette "tradition" arrive en première position (38% des voix) des variétés de pain préférées des Français, devant… la baguette "classique" (22%). © MYCHELE DANIAU / AFP
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Le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française a rencontré Emmanuel Macron vendredi pour lui faire cette proposition.

La baguette, "produit merveilleux", "aurait sa juste place" au patrimoine mondial, assure vendredi Dominique Anract. Le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNPBF) en a fait son cheval de bataille : que la baguette de tradition française soit inscrite au patrimoine mondial immatériel de l'Unesco. "Mise à part la tour Eiffel, la baguette n'est-elle pas le symbole le plus fort de la France ? Notre savoir-faire est emblématique d'un pays où 12 millions de personnes franchissent chaque jour les portes d'une boulangerie", argumente le président de la CNPBF dans Le Parisien.

Dominique Anract a même soumis son idée à Emmanuel Macron vendredi après-midi, alors que 130 boulangers étaient reçus à l’Elysée pour déguster une galette des rois. Et le président de la République l’a d’ores-et-déjà assuré de son soutien. "La baguette, c’est le quotidien des Français, le matin, le midi et le soir. C’est une histoire particulière. Ça fait partie de l’humanité, la baguette est enviée dans le monde entier. La France est un pays d’excellence et il faut en préserver le savoir-faire", a détaillé vendredi soir le président de la République, au micro d’Europe 1. "L’inscrire au patrimoine de l’humanité, c’est inscrire des ingrédients (de la farine, de l'eau, du sel et de la levure ndlr), un nom, un savoir-faire, un tour de main", a-t-il défendu.

La baguette rentre dans les critères…

Sur le papier, la baguette a toutes ses chances d’apparaître sur la "liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité", gérée par l’Unesco. Conçue pour être une vitrine des traditions, des arts, des rites et des savoir-faire de l’humanité, cette liste regroupe aussi bien la "gastronomie française", le "compagnonnage", "l’équitation de tradition française" ou la "porcelaine de Limoges" que "l'art de la plaisanterie au Niger", "le papier marbré turc" et le "sauna estonien". Les critères d’admission, regroupés ici, s’appliquent, sur le papier, parfaitement à la baguette : savoir-faire transmis de génération en génération, procuration "d’un sentiment d’identité et de continuité", vecteur de promotion du "respect de la diversité culturelle et de la créativité humaine etc".

Pour figurer au patrimoine immatériel mondiale, il suffit de regrouper un groupe d’individus (il n’y a pas de minimum) qui estiment que la tradition ou le savoir-faire en question fait partie de leur patrimoine et de déposer un dossier à l’Unesco. Les gouvernements peuvent également émettre ou soutenir des propositions. Et tous les ans, un comité d’évaluation composé de 12 experts de différents pays effectue sa sélection, en fonction des critères cités plus haut.

… Mais elle reste un produit commercial

Sauf que les places sont chères. Faute de moyen, l’Unesco valide entre 30 et 50 candidatures par an, alors que des milliers (voire même des centaines de milliers selon certaines sources) sont en attente. En outre, depuis quelques années, le comité d’évaluation tente d’éviter la "marchandisation" de sa liste. Or, la baguette, toute traditionnelle qu’elle soit, est un produit commercial. "Le label Unesco suscite l'intérêt des artisans du monde entier, qui réclament eux aussi leur heure de gloire. Le textile du Pérou a été distingué en 2008, la dentelle d'Alençon en 2010, les yourtes du Kazakhstan en 2014. […] L'organisation des Nations unies souffre de recevoir de plus en plus de candidatures opportunistes, soigneusement enrobées pour correspondre aux critères du comité d'évaluation", détaillait en 2015 Télérama, dans une enquête consacrée au sujet.

En 2010, l’entrée de la gastronomie française au patrimoine immatériel de l’humanité avait ainsi suscité une vive polémique dans le milieu du patrimoine mondial, certains parlant même de "lobby" effectué par la France et ses grands chefs. "La France a fait le forcing pour décrocher un label qui n'allait pas de soi", écrivait à l’époque Le Parisien, évoquant notamment "le risque d'usage abusif du label de l'Unesco à des fins commerciales". Car le but de la liste du patrimoine immatériel est avant tout de défendre une tradition, pas de faire vendre et privilégier un produit commercial aux dépens d’autres qui ne bénéficieraient pas de l’étiquette Unesco.

Les Français plébiscitent en masse la baguette

Outre le soutien d’Emmanuel Macron, la baguette aura donc probablement besoin d’un fort soutien populaire. À titre de comparaison la pizza napolitaine, admise l’an dernier et citée en exemple par Dominique Anract et Emmanuel Macron, avait recueilli deux millions de soutiens dans le monde entier (une pétition avait été mise en ligne). Et elle a été inscrite sur la liste de l’Unesco en raison de "l’art" de sa fabrication (faire valser la pâte dans les airs), plus que pour sa recette.

Les partisans de la baguette auront jusqu’à décembre prochain pour se montrer convaincants, s’ils veulent faire partie des lauréats de 2018. Parviendront-ils à mobiliser les Français ? En septembre 2016, une enquête de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française indiquait que 92% des Français avaient, en permanence, du pain chez eux. Et la baguette "tradition" arrivait en première position (38% des voix) des variétés de pain préférées des Français, devant… la baguette "classique" (22%).