Harkis : de leur arrivée en France à leurs conditions indignes de vie

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Pauline Jacot, édité par Gauthier Delomez , modifié à
Les sénateurs examinent mercredi le projet de loi sur la reconnaissance de la nation envers les Harkis, ces combattants et leurs familles arrivés depuis l'Algérie dans les années 1960, dans des conditions indignes. Soixante ans plus tard, Europe 1 retrace l'histoire de ces femmes et de ces hommes arrivés en France.
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Nous sommes en 1962. Deux mois après la signature des accords d'Evian et le cessez-le-feu avec le FLN. Des Français musulmans rapatriés, comme on les appelait à l'époque, arrivent à Marseille. Ils ont fui l'Algérie, leur terre natale, où ils sont désormais persécutés pour s'être battu dans les rangs de l'armée française. Dans les villes, dans les villages, des milliers sont torturés, massacrés, d'autres réussissent à embarquer pour la cité phocéenne.

Soixante ans après, le Sénat examine un projet de loi sur la reconnaissance de la nation envers les Harkis. Ce texte se penche sur la réparation des préjudices, de l'indignité des conditions d'accueil à l'époque de tous ces combattants et de leurs familles. L'occasion pour Europe 1 de retracer leur histoire.

"La vie était impossible en Algérie", témoigne un Harki

Le 9 mai 1962, un bateau accoste dans le port de Marseille. "Je suis venu comme rapatrié, et je n'ai pas de parents. J'ai quatre enfants, ma femme et moi", confie l'un de ces Français musulmans rapatriés, fraîchement arrivé. Il ne sait pas ce qu'il va retrouver en France, et parle d'un voyage "sans retour". "La vie était impossible là-bas", répond-il à un journaliste. "Mon fils a quitté l'école, cela nous a démoralisé complètement (...). Je n'ai pas de ressources (financières) du tout", ajoute-t-il au micro d'Europe 1 ce jour-là.

Au moment de l'indépendance de l'Algérie, en juillet 1962, des milliers d'autres Harkis débarqueront en France. Ils seront environ 90.000. Des hommes, des femmes, des enfants qui ne savent pas où vivre, où travailler et où aller à l'école. En France, à l'époque, les autorités promettent d'accueillir et de prendre en charge le mieux possible ces milliers de personnes.

La promesse d'être traité "avec autant de bienveillance que les citoyens français"

"Monsieur le préfet, nous venons de voir des musulmans qui rentraient, eux aussi. Certains sont mouillés, comme on dit, avec la France ?", s'interroge un habitant. "Bien sûr", lui répond le préfet. "Il y a un service spécialisé, le service des affaires algériennes, qui prendra en charge ces musulmans et qui les traitera avec autant de bienveillance qu'on aurait traité n'importe quel citoyen français", promet-il alors. Cela n'a pas du tout été le cas. Ces Harkis sont arrivés en France conduits en camion, en train, vers des camps de transit.

Ces camps étaient censés être temporaires : dans le Larzac, l'Aveyron, la Vienne, le Lot-et-Garonne, le Puy-de-Dôme. Les Harkis étaient parqués, enfermés derrière ces murs, ces barbelés. Ils resteront des années très loin de l'intégration alors promise par la France. Une intégration revendiquée et surtout réclamée des années plus tard, par les enfants de Harkis.

Des camps de transit, où certains ont vécu entre 10 et 20 ans

Ce sont les enfants qui ont vécu dans ces camps de transit, entre 10 et 20 ans pour certains, qui ont connu la pluie dans les tentes, le froid, la boue, les couvre-feux éloignés des villes. C'était aussi le cas des Harkis qui travaillaient dans des hameaux dans le sud-est de la France. Une main d'œuvre corvéable à merci, logée à proximité de leur travail. En 2007, certains Harkis y vivaient toujours. Yaël Goosz les avait rencontré dans les Bouches-du-Rhône. "Une trentaine de familles occupent des logements en piteux état", expliquait-il.

Le journaliste poursuivait sa description de l'endroit : "Les murs décrépis et fissurés laissent passer l'humidité. Odeur de moisi dans ces blocs de béton aux fondations fragiles, où vivent ces anciens supplétifs de l'armée française".

Un sentiment de citoyen de seconde zone qui perdure

Une France qui les a pourtant oubliés, laissés de côté. "Nous avons grandi dans un sentiment d'humiliation et d'exclusion depuis que nous sommes arrivés là, en 1962", dit un fils de harkis. "Mon père, tant qu'il a les yeux ouverts, j'aimerais qu'on lui donne accès à une propriété comme n'importe quel citoyen", soulignait-il. "Il ne parle pas le français, ce n'est pas normal déjà. Quand ils sont venus, on aurait pu les aider pour être mieux dans cette société", regrettait ce fils de harkis au micro d'Europe 1.

Malgré les discours de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, ou encore le "pardon" d'Emmanuel Macron, les plaies de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants sont aujourd'hui toujours ouvertes. Ce sentiment toujours présent de citoyens de seconde zone, de personnes exclues en France et bannies en Algérie.