"On a l’impression d'une France qui refuse de penser l'islam et les musulmans". Invitée d'Anne Sinclair samedi matin, la journaliste franco-tunisienne Fawzia Zouari dénonce "l'omerta qui exclue l'islam et les musulmans du débat". Celle qui sort un roman le 24 mars prochain, Le corps de ma mère, est revenue sur le débat autour de l'écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud, auteur de propos controversés sur les événements de Cologne. Elle avait pris sa défense dans les colonnes de Libération, fin février dernier.
"Nous voulons rentrer dans le champ de la parole". "Vous avez d'un côté, un discours français, un peu paternaliste, et une gauche qui se fait passer pour nos avocats d'office et qui veut parler à notre place et qui dit que tout va bien dans notre monde", dénonce la romancière au sujet de la controverse soulevée par l'analyse de Kamel Daoud dans sa tribune "Cologne, lieu de fantasmes". "Nous voudrions parler, pour dire ce qui ne va pas chez nous, pour dire qu'on ne se complaît plus dans la position et dans la posture de la victime, nous voulons rentrer dans le champ de la parole et dire ce qui ne va pas chez nous", développe Fawzia Zouari qui incite, au nom des musulmans, des femmes musulmanes, "à un autre discours, à changer de posture".
Or, estime-t-elle, cette parole n'est pas acceptée et trop vite taxée "d'islamophobe" . Mais "nous parlons de l'intérieur du monde musulman", insiste-t-elle. "Nous avons des tares, nous avons une situation des femmes déplorable dans certains pays, et nous voulons le dire", s'agace-t-elle.
"Un rapport pathologique" à la sexualité. Fawzia Zouari partage cette idée qui a fait tant couler d'encre, avancée par Kamel Daoud dans son texte. Le journaliste y parle de "la misère sexuelle du monde arabo-musulman" et du rapport "malade à la femme, au corps et au désir". Jeune, Fawzia Zouari n'a d'ailleurs jamais vu ni le corps ni les cheveux de sa mère. "Je suis dans une société, où le tabou est de voir le corps de la femme nue". Dans sa famille, elle serrait la main à ses sœurs : "chez nous, on ne s’embrassait pas. Le baiser est quelque chose d'impudique. La bouche ne sert qu'à manger", se souvient-elle. "Nous traînons en nous, en nos corps, dans nos mentalités, un rapport à la sexualité qui est difficile, voire pathologique", juge Fawzia Zouari qui appelle à "se mettre dans la peau des femmes du monde musulman".
D'autant que depuis les révolutions arabes, "nous assistons à une islamisation des mentalités qui fait que nous reculons", pointe la journaliste. A ses yeux, le féminisme islamiste est une "imposture" : "on nous a inventé la révolution sous le voile", dénonce-t-elle, pointant les paradoxes au sein de ce discours politique et identitaire. "Elles se considèrent comme musulmanes avant de se considérer, de se désigner comme femmes avant tout. [...] Nous sommes toujours sous la concession, sous la soumission aux lois religieuses", argumente Fawzia Zouari . "Toutes les religions ont été sévères avec les femmes, mais les autres religions on fait leur révolution, on fait en sorte que les femmes se sont libérées du carcan".
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