Faut-il instaurer l'Etat d'urgence ? "Aujourd'hui, les policiers sont suffisamment fatigués et harassés"

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Aurélie Dupuy , modifié à
Au lendemain des graves débordements lors des manifestations de samedi, deux syndicalistes de la police estiment que décréter l'état d'urgence serait une erreur.
INTERVIEW

Voitures incendiées, magasins pillés et symboles de la République vandalisés... la journée de samedi n'a pas été de tout repos pour les forces de l'ordre. Depuis trois semaines déjà, elles sont sur le terrain. Deux syndicalistes, invités du Grand journal de Philippe Vandel, ont souligné la fatigue de leurs collègues. Inquiets pour la suite des événements, ils insistent sur le fait que décréter l'état d'urgence n'est pas une bonne idée. 

"Choqué". "Je suis comme beaucoup de mes concitoyens et collègues, particulièrement choqué", indique Denis Jacob, représentant du syndicat Alternative police-CFDT. "Choqué qu'on s'en prenne aux symboles de la nation, à l'Arc de Triomphe, à la tombe du soldat inconnu". L'homme s'interroge aussi sur la justesse du déploiement des forces. Selon lui, "on a focalisé" sur les Champs-Elysées, théâtre de violences la semaine précédente, ce qui explique en partie selon lui "les heurts en périphérie", même s'il comprend la volonté d'avoir voulu protéger les Champs : "Vous pouvez imaginer quel impact international ça peut avoir que d'avoir la plus belle avenue du monde à feux."

Des forces de l'ordre "harassées". Pour l'avenir, il considère cependant irresponsable de solliciter le retour de l'état d'urgence. "Pour régler la situation des 'gilets jaunes', il n'y a pas pire que l'escalade sécuritaire et de donner le sentiment que c'est un moyen détourné d’étouffer le mécontentement et l'expression populaire. On a eu certes des scènes dans un climat un peu insurrectionnel mais on n'est quand même pas sous un régime d'attentats ni même dans la situation des violences urbaines qu'on a connues en 2005", souligne le syndicaliste.

"Le deuxième point, c'est que ça a un impact lourd sur le travail des policiers. L'état d'urgence, ce serait remplacer les forces de police qui sont en position statique à la garde de certains bâtiments institutionnels (comme l'Elysée, Matignon, Beauvau, ndlr) par des militaires. Et ces policiers iraient en renfort sur le maintien de l'ordre et ils ne sont pas formés pour ça", assure-t-il, en indiquant que ce serait placer des collègues en insécurité. "Aujourd'hui, les policiers sont suffisamment fatigués et harassés", estime-t-il.

Entendu sur europe1 :
Il y a eu une haine anti-flics et on arrive à avoir des images d'un collègue qui est quasiment lynché sous l'Arc de Triomphe

Ce sentiment est partagé par son collègue Grégory Joron, secrétaire national du syndicat Unité SGP Police FO. Les CRS "enchaînent de nombreux week-ends très tendus. Les compagnies républicaines de sécurité, il y a en 60, pas 110, 120 ou 140", précise-t-il. La rage de certains manifestants contre les policiers était visible sur les images, loin de l'esprit post attentats de 2015. "Il y a eu une haine anti-flics et on arrive à avoir des images d'un collègue qui est quasiment lynché sous l'Arc de Triomphe", sauvé par des gilets jaunes. "Comme quoi il y a 'gilet jaune' et 'gilet jaune' et le gros millier de 'gilets jaunes' qu'on a vu hier n'était pas vraiment des 'gilets jaunes'", nuance-t-il.

"Je ne vois pas l'intérêt". Malgré son inquiétude de voir venir un quatrième samedi de manifestation violente, il rejoint son collègue sur l'inadéquation de décréter l'état d'urgence : "Une loi a été votée le 1er novembre 2017 et qui reprend quatre points" de l'état d'urgence "dont l'assignation à domicile et les perquisitions administratives. Utiliser ces éléments qui sont maintenant dans le droit commun" pourrait selon lui permettre de maintenir l'ordre en interdisant certaines personnes de manifestation. "Il n'y a pas besoin de l'état d'urgence. A part faire peur aux gens et mettre des gros mots pour créer un climat particulier, je ne vois pas l'intérêt pour les collègue", conclut-il.