Enregistrements Benalla : Mediapart avait-il le droit de refuser la perquisition ?

Des policiers se sont présentés à la rédaction de Mediapart, lundi matin.
Des policiers se sont présentés à la rédaction de Mediapart, lundi matin. © AFP
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Margaux Lannuzel avec Pierre de Cossette , modifié à
Le média en ligne a indiqué lundi matin avoir refusé une perquisition dans ses locaux, où s'étaient présentés deux magistrats et des enquêteurs qui voulaient saisir des enregistrements publiés la semaine dernière.
ON DÉCRYPTE

La procédure est extrêmement rare. Deux magistrats du parquet et trois policiers se sont présentés au siège d'un média, en l'occurrence le site Mediapart, à Paris, lundi en fin de matinée, pour y mener une perquisition. Dans leur ligne de mire : des enregistrements dont des extraits ont été publiés la semaine dernière, d'échanges entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, tous deux mis en cause dans l'affaire des violences de la place de la Contrescarpe. "Il fait plus que nous soutenir. Il est comme un fou", y affirmait notamment Alexandre Benalla à propos d'Emmanuel Macron. Les policiers n'intervenaient pas sur le fond des faits révélés - notamment la violation du contrôle judiciaire des deux hommes - mais dans le cadre d'une procédure distincte, une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris, notamment pour "atteinte à l'intimité de la vie privée". Concrètement, celle-ci cherche à identifier l'origine desdits enregistrements.

Une enquête "susceptible d'atteindre le secret des sources". Sur son compte Twitter, Mediapart a rapidement raconté la suite des événements : en l'absence  d'Edwy Plenel, entendu au procès intenté par Denis Baupin à plusieurs médias, les deux responsables des enquêtes du site, Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg ont refusé que la perquisition ait lieu. "Cette enquête, qui vise les enregistrements révélés par Mediapart, est susceptible d'atteindre le secret des sources de notre journal", a tweeté le compte officiel du média. Ce secret est protégé par l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

L'assentiment comme principe de base. Ce refus est-il légal ? L'article 76 du Code de procédure pénale précise que les perquisitions doivent faire l'objet d'un assentiment de "la personne chez qui l'opération a lieu". Une exception est faite lorsque l'enquête concerne "un crime ou délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à cinq ans", ce qui est le cas de l'un des chefs de l'enquête préliminaire, la "détention illicite d'appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d'interception de télécommunications ou de conversations", souligne Libération.

Pas de mandat du juge des libertés et de la détention. Mediapart aurait donc pu être contraint d'accepter la perquisition. Sauf que, toujours selon l'article 76, la fouille sans autorisation doit être justifiée par "une décision écrite et motivée" du juge des libertés et de la détention. Les enquêteurs qui se sont présentés au siège du journal n'en disposaient pas, rendant, de fait, le refus légal. Mais "le procureur adjoint a mentionné cette possibilité lors de nos discussions", a écrit le site dans un article publié plus tard dans la journée. Autrement dit, une nouvelle perquisition avec ce mandat pourrait avoir lieu à l'avenir. Elle serait, dans ce cas, légalement obligatoire.

"Un acte violent, rarissime" pour Edwy Plenel. Lors d'une conférence de presse organisée dans les locaux de Mediapart, lundi après-midi, Edwy Plenel a lui vu dans cette perquisition avortée la marque d'un acharnement politique. "Dans une affaire qui concerne au plus haut point la présidence de la République, dans une affaire où monsieur Macron n'a cessé de réclamer l'indulgence pour monsieur Benalla et de le protéger, et alors que nous révélons des faits d'intérêt public, le parquet de Paris n'a d'autre urgence que de faire cet acte violent, rarissime, qui a déjà suscité des protestations quand ce fut le cas du Canard Enchaîné et de l'Equipe, de venir perquisitionner un journal ?", a-t-il interrogé.