Dauphin échoué, Justin Morin/Europe 1 4:35
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Justin Morin, édité par Anaïs Huet , modifié à
Plus d'un millier de dauphins se sont échoués sur la côte atlantique depuis le 1er janvier. Comment expliquer ce phénomène ? Europe 1 a mené l'enquête.  
ENQUÊTE

Un triste record vient d'être battu. Plus de 1.100 carcasses de dauphins morts ont été retrouvées échouées depuis le début de l'année 2019 sur les plages du littoral atlantique.

À l'observatoire Pelagis à La Rochelle, un laboratoire lié au CNRS où Europe 1 s'est rendu, les scientifiques consacrent la majeure partie de leur temps à ces animaux échoués. Ces deux dernières semaines, ils en ont déjà comptabilisés 450. Le dernier arrivé gît sur une grande table en métal, au milieu de la salle d'autopsie.

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Crédit photo : Justin Morin/Europe 1

"On est devant un dauphin commun, qui a été retrouvé sur une plage de Gironde la semaine dernière. On voit quelques traces de captures accidentelles, dont une assez évidente qui est la section de la nageoire de la queue", observe le chercheur Olivier Van Canneyt. "Elle a été coupée au moment de l'opération de démaillage. On sait que c'est quelque chose qui est pratiqué sur les bateaux, pour éviter d'abîmer les filets", explique-t-il. "Sans examen très approfondi", le diagnostic est sans appel : "mort par capture accidentelle".

Au total, 90% des carcasses examinées présentes les mêmes preuves de pêche accidentelle.

Des espèces interdites à la pêche, à une exception près

Ces dauphins font pourtant partie d'une espèce protégée. Il est normalement interdit de les pêcher… sauf si cela est accidentel. Le problème est que ce phénomène se produit chaque année, entre janvier et mars, en pleine période de reproduction de petits poissons. Or ces petits poissons sont chassés par les dauphins, mais aussi par les merlus et les bars, cibles privilégiées des chalutiers. Dauphins et poissons se retrouvent donc sur les mêmes zones connues des pêcheurs, et sont prisonniers des mêmes filets.

On ignore en revanche pourquoi ce phénomène s'accentue.L'observatoire Pelagis émet des hypothèses liées aux mouvements des animaux, et à des pratiques de pêches qui évoluent. Les observateurs scientifiques regrettent de ne pas pouvoir monter plus souvent sur les bateaux de pêche pour comprendre. Cela se fait au bon vouloir des capitaines, et certains rechignent, de crainte d'être stigmatisés.

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Dans la chambre froide de l'observatoire Pelagis, les cadavres s'entassent. Crédit photo : Justin Morin/Europe 1

 

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Les ONG sur les dents, les pêcheurs irrités

Des ONG accusent ouvertement les pêcheurs de massacrer les dauphins. Sea Shepherd, qui défend les océans, mènent des actions en mer, notamment au large des Sables d'Olonne, pour mettre la pression sur les chalutiers. Et cela crée de grosses tensions. Régulièrement, des bénévoles embarquent la nuit sur des bateaux à moteur dans le but de prendre les pêcheurs en flagrant délit, les filmer, puis poster les vidéos sur les réseaux sociaux. "On s'approche d'eux, on attend qu'ils relèvent leurs filets et, parfois, il y a malheureusement des dauphins", note Damien, l'un de ses bénévoles, au micro d'Europe 1. "Les pêcheurs sont plutôt énervés que l'on vienne observer ce qu'ils font. On reçoit des gestes obscènes, des insultes, voire même parfois des tentatives d'intimidation", dénonce-t-il. Damien "leur reproche le fait d'avoir une pêche industrielle, et non sélective."

L'ONG Sea Shepherd va même plus loin, en suspectant les pêcheurs de ne pas respecter la loi qui les oblige à signaler toute capture accidentelle. De leur côté, les concernés rejettent le terme de pêche industrielle. D'après un de leur représentants, 80% des bateaux font moins de 12 mètres, avec à bord des petits équipages. Mais ils se sentent surtout profondément blessés et mal jugés. "Il faut arrêter de croire que c'est la fête du scalp quand on chope un mammifère, ça ne fait rire personne", tient à rétablir José Jouneau, président du comité régional des pêches et des élevages marins. Et d'assurer : "Si on pouvait trouver le moyen d'éviter ces captures, vous ne pouvez pas savoir le bien que cela nous ferait."

Porte-parole de près de 370 navires qui travaillent dans le Golfe de Gascogne, José Jouneau dénonce la présence massive de "flottilles étrangères" dans ces eaux. "L'idéal, ce serait aussi d'avoir des observateurs sur ces navires, et un état des lieux", exhorte-t-il.

Quelles solutions ?

Depuis cette année, les plus gros navires sont équipés d'un boitier électronique, un "pinger", qui émet des ultrasons censés éloignés les dauphins des filets. D'après l'observatoire Pelagis, cela fonctionne plutôt bien, puisque ce boîtier réduirait de 60% les prises accidentelles. Le problème est que les batteries de ces appareils s'épuisent vite, et qu'ils ne sont pas adaptés à tous les types de filets.

Le ministère souhaite voir si d'autres flottilles dans le golfe de Gascogne devraient être équipées de ces pingers, notamment les fileyeurs français et les chalutiers en bœufs espagnols. Une réflexion existe aussi quant à la possibilité d'augmenter le nombre d'observateurs et voir quels sont les autres dispositifs qui pourraient être mis en oeuvre pour éloigner les dauphins des bateaux de pêche.

François de Rugy sera vendredi à La Rochelle auprès des scientifiques pour montrer que le problème est pris très au sérieux.