"Je ne vous verrai plus, au revoir mes chéries" : Edith ne peut plus voir sa tante en Ehpad

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Léa Beaudufe-Hamelin , modifié à

Placée en Ehpad, la tante d’Edith a dû être isolée dans une unité Covid. Au micro de "La Libre antenne", sur Europe 1, Edith s’insurge contre cette mesure qui a beaucoup angoissé et affaibli sa tante qui, étant en fin de vie, demandait à mourir dans sa chambre entourée de ses effets personnels.

La tante d’Edith est une religieuse âgée de 87 ans et placée en Ehpad. L’une des religieuses de la communauté ayant été testée positive à la Covid-19, l’Ehpad a décidé d’isoler sa tante dans l’unité Covid. Un choc pour cette dernière qui, étant en fin de vie, demandait à mourir dans sa chambre entourée de ses effets personnels. Selon Edith, ce changement de chambre précipité et forcé a accéléré la dégradation de l’état de santé de sa tante. Étant elle-même infirmière, Edith remet en question, sur "La Libre antenne" d’Europe 1, les dispositions prises par l’Ehpad pour lutter contre la propagation du virus.

"Dans ce contexte de confinement et de Covid, il faut réfléchir à la façon dont on s'occupe de nos anciens, parce que ça sera nous demain. Je voulais vous raconter l’histoire de ma tante. Elle a 87 ans. Elle est religieuse depuis l'âge de 18 ans. Elle a consacré sa vie aux autres. C’est une infirmière qui a travaillé un peu partout. Il y a 8 ans, elle était encore en grande forme. Elle a été envoyée dans un Ehpad pour s'occuper de la petite communauté de religieuses qui s’y trouve. Une fois de plus, elle s'est occupé des autres. 

Il y a un an, elle est tombée malade. Son taux d'hémoglobine chute et elle perd petit à petit ses forces. Elle m’a dit : 'Je ne veux pas qu'on cherche pourquoi j'ai cette maladie et je ne veux pas de soins. Je suis prête à partir, ma vie a été bien remplie'. J’ai accusé le coup, et je lui ai dit que je serai sa personne de confiance. Le premier confinement est arrivé. On ne pouvait plus beaucoup se voir. Elle adorait que je l'emmène au restaurant une fois par mois. Ces moments étaient autant de récompenses par rapport à cette vie qu'elle a donnée aux autres. 

" Elle était catastrophée à l'idée de changer de chambre "

Il y a huit jours, on a découvert qu'il y avait un cas de Covid parmi la communauté religieuse, on leur a donc interdit de descendre à la salle à manger. Ma tante m’explique qu’on lui a dit que vu son état de santé, on ne la placera pas dans une unité Covid. Elle était donc rassurée. Samedi dernier, elle m'a appelée et j'ai eu le choc de ma vie parce qu'elle sanglotait, elle avait du mal à parler. Elle m’a dit : 'On va me changer de chambre, mais je ne veux pas. Je veux mourir dans ma chambre. Je ne vous verrai plus, au revoir mes chéries'. 

Elle était catastrophée à l'idée de changer de chambre et de ne plus avoir son téléphone. Époustouflée par ce que je venais d'entendre, j'ai appelé l’Ehpad. Je suis tombée sur des soignants bienveillants qui ont accepté de la laisser dans sa chambre. Elle était soulagée. Le dimanche soir, elle m’a rappelée à nouveau paniquée, en me disant que finalement elle allait changer de chambre. Ce week-end, elle a eu un stress absolument épouvantable. J'ai appelé le directeur de l’Ehpad qui m’a expliqué qu’on ne pouvait pas faire autrement que de la mettre dans l'unité Covid. 

" Elle aurait pu avoir droit à une fin de vie apaisée dans sa chambre "

Je lui ai donné tous mes arguments : "Ma tante ne sort pas de sa chambre, elle ne risque pas de contaminer qui que ce soit. Elle est en fin de vie. Vous lui aviez dit qu'elle pourrait rester dans sa chambre. Ne faites pas ça par pitié, un peu d'humanité ! Laissez-là avec ses petites affaires et ses photos dans son lieu de vie." Malgré tout ce que j'ai essayé de faire, elle a été changée de chambre. Dans la nuit de lundi à mardi, elle a pleuré. Dans la nuit de mardi à mercredi, son état de santé s'est terriblement aggravé. On a été obligé d'appeler le 15. 

J'ai enfin eu la permission d'aller la voir aujourd’hui. Elle m'a confirmé qu'elle resterait là. Elle trouve que les soignants autour d'elle sont formidables. Elle se sent apaisée et bien entourée. Elle sait qu'on fera ce qu’il faut pour elle et j'ai pu lui dire au revoir. J’ai expliqué au directeur que ce qui s'était passé ce week-end avait été inhumain. Je pense que le stress qu'elle a eu ce week-end a probablement précipité son état. Elle aurait pu avoir droit à une fin de vie apaisée dans sa chambre.

Je suis moi-même infirmière, donc je suis capable de comprendre. Aujourd'hui, nous croulons sous les protocoles et les injonctions des uns des autres. Les directeurs d'Ehpad diront c'est l’ARS qui leur dit de faire ça. Le médecin veut qu'il y ait le moins de cas de Covid dans son établissement, donc il isole toutes les personnes. C’est louable. Ma tante est en train de mourir, mais pas du Covid. Elle sera sûrement comptée parmi les gens qui sont morts dans l’unité Covid, mais ce n'est pas le cas. 

Parmi toutes les injonctions et toute la sécurité mise en place pour isoler les personnes, je pense que beaucoup de choses manquent de bon sens et d'humanité. Chaque cas est particulier. Pourquoi cette pauvre sœur, qui est en fin de vie et ne quitte pas sa chambre, doit aussi déménager ? Ça n'a pas de sens. Nos anciens sont vulnérables, ils ne peuvent pas s'exprimer. Donc si on ne le fait pas, qui va le faire ? On parle de semaines de confinement, mais pour les anciens, ce sont des semaines de vie perdues."