Prisons renseignement AFP 4:30
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Salomé Legrand, à Strasbourg, édité par Thibaud Le Meneec , modifié à
Le renseignement pénitentiaire, dernier né des services de renseignement français, va devenir une entité à part entière d’ici la fin du premier trimestre. Europe 1 a eu l’autorisation exceptionnelle de se rendre dans la cellule de la CIRP de Strasbourg.
ENQUÊTE

Une porte blindée, au détour d’un couloir de la Direction interrégionale des services pénitentiaires Grand-Est. "Zone protégée". Accès restreint. Derrière se trouvent les locaux tout neufs de la CIRP, la Cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire, avec cloisons de préfabriqué, lino au sol et petites tables en contreplaqué, gros ordinateurs et normes de sécurité anti-intrusion maximum. A Strasbourg comme dans d'autres villes, ce dernier-né des renseignements français s'installe pour devenir, à la fin du mois de mars une entité à part entière. Europe 1 a pu visiter la cellule alsacienne.  

Les fenêtres des locaux donnent sur les hauts murs gris de la maison d’arrêt de Strasbourg, mais la dizaine d’agents travaillent pour toute la zone Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes : quelque 6.200 détenus et plus de 17.000 suivis en milieu ouvert (bracelets électroniques…), dont 24 détenus pour des faits de terrorisme islamiste (TIS) et une centaine de détenus de droit commun signalés comme radicalisés. Dans leurs radars également, les gros poissons du grand banditisme et ceux aux velléités d’évasion violente, que la sortie spectaculaire de Redoine Faïd l’été dernier a remis dans la liste de leurs priorités au titre de la sécurité pénitentiaire.

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"En prison, tout se sait". Tout le travail de la CIRP repose sur les informations recueillies dans les coursives des 24 établissements pénitentiaires de la zone. À l’œuvre, une poignée de délégués locaux du renseignement pénitentiaires à temps plein, officiellement identifiés. Et une quarantaine de temps partiels qui travaillent sous couverture, dans les différents lieux de vie pénitentiaires. "On ne peut pas vraiment parler d’infiltrés, le renseignement est une tâche assumée en plus d’autres responsabilités de chef de bâtiment par exemple, ce qui leur permet d’être plus discrets et de se protéger vis-à-vis de la population pénale", précise Thomas, chef de la CIRP.

Derrière cette porte blindée se situe les locaux de la CIRP

"En prison, tout se sait, tout se voit, ça nécessite une très grande discrétion", abonde Virginie, son adjointe. Les agents doivent donc trouver des solutions pour échanger avec leurs collègues ou les détenus sans que personne ne tique. Quitte à organiser une rencontre lors d’une extraction pour raison médicale ou un rendez-vous entre l’agent et sa source en marge d’un entretien chez le juge.

Détenus recrutés. Car près de 95% du renseignement pénitentiaire provient de renseignements humains. Y compris des détenus, qui collaborent ponctuellement pour certains. D’autres - leur nombre est une information classifiée secret défense - sont carrément recrutés et immatriculés comme source, après que le délégué local a pu tester leur fiabilité, en leur confiant diverses missions. "On a quelques leviers pénitentiaires qui peuvent inciter spontanément ou de façon provoquée un détenu à collaborer avec nous, comme favoriser ou accélérer un transfert d’établissement, un changement de cellule, voire la possibilité de permettre de travailler en prison", liste Charlotte, directrice du bureau central du renseignement pénitentiaire, qui ajoute qu’en "matière terroriste", certains signalent différents agissements "par engagement citoyen".

Par téléphone l’essentiel du temps, ou par mail, les agents remontent les informations à la CIRP. "C’est un détenu qui a soudainement beaucoup d’échanges de denrées, de co-détenus qui lui rendent visite, ou des échanges très appuyés avec un visiteur lors d’un parloir", cite en exemple Virginie, l’adjointe de la CIRP qui les coordonne. Ou un détenu qui fait part de projets d’évasion d’un autre.

Pose de micros dans les cellules. L’agent va alors débroussailler le terrain au niveau local, en décortiquant les moyens, les réseaux extérieurs du détenu via ses correspondances, parloirs et autres virements bancaires. La CIRP intervient en appui avec les mêmes moyens techniques et juridiques que la police judiciaire ou les autres services de renseignements : pose de micros ou de caméras dans les cellules et les parloirs, interceptions téléphoniques ou exploitation des supports numériques retrouvés au cours des fouilles.

" Pour qu’une information soit sûre, il faut qu’on soit certains des ressorts de sa transmission pour éviter de tomber dans l’arbitraire "

"Les détenus se servent des smartphones pour aller sur des sites de jeux en ligne, comme Winamax et utilisent les comptes comme des comptes de transit", s’est notamment aperçu Jérôme, analyste exploitant. "Ce sont des choses qui se passent le soir, quand les cellules sont fermées", explique-t-il. De toutes ces données brutes, il tire un sociogramme soulignant qui est en relation avec qui, les SMS échangés, les flux financiers afin de compléter et corroborer les informations en provenance de l’établissement pénitentiaire.

Comment vérifier les soupçons de radicalisation ? Mêmes investigations sur les soupçons de radicalisation partant d’un changement d’apparence physique, un isolement, une conversion soudaine à l’islam, comme cela arrive "fréquemment". "Pour qu’une information soit sûre, il faut qu’on soit certains des ressorts de sa transmission pour éviter de tomber dans l’arbitraire, ou de faire le jeu d’un détenu souhaitant nuire à un autre dans le cas d’un règlement de comptes", insiste Thomas, le chef de CIRP.

Sur ce sujet particulièrement, la collaboration avec les autres services partenaires, comme la DGSI et le renseignement territorial, est cruciale. Comme dans ce cas d’un détenu qui "sous le coup de l’énervement avait proféré des menaces à caractère religieux mais les services partenaires, à la lumière de son parcours à l’extérieur, nous ont permis de prendre conscience qu’il avait tout un passé d’addiction, de violences et des problème psychologiques ce qui a nuancé cette menace", se souvient Thomas.

"Phénomènes de clans". Une fois consolidées, ces informations sont transmises à la justice dans les cas où une infraction a été commise ou est en passe de l’être, comme un projet d’évasion. Mais surtout, elles servent à l’administration pénitentiaire pour isoler un meneur ou empêcher qu’un groupe ne se forme. "On a pu déceler des phénomènes de clans issus des différents de quartiers de Strasbourg", détaille Jean-Pierre, délégué interrégional en charge des thématiques "criminalité organisée mafia et pays de l’Est". "On a maintenant une nouvelle problématique de détenus en provenance des Antilles qui peuvent s’inscrire dans des logiques de trafic ou de s’imposer en détention par la violence", raconte encore l’ancien militaire, dans le renseignement pénitentiaire depuis 2006, qui aide les surveillants à avoir "une connaissance plus approfondie des détenus qu’ils vont avoir à gérer" en leur indiquant les apparences vestimentaires typiques, tatouages, et gestuelles précises qui permettent de déterminer leur appartenance.

" Nos agents ont le savoir-faire pénitentiaire, car la prison a ses codes propres "

"On est dans les murs, donc notre surveillance est 24 heures sur 24 et 7 jour sur 7, et nos agents ont le savoir-faire pénitentiaire, car la prison a ses codes propres. Il faut bien la connaître pour sentir une ambiance carcérale et faire du renseignement efficace", souligne Charlotte, qui insiste sur le rôle clef du renseignement pénitentiaire dans la "continuité" du suivi des radicalisés qui s’apprêtent à sortir notamment.

Les objectifs passés en revue chaque semaine. À Strasbourg, deux personnes passent chaque semaine toute la liste des objectifs suivis dans leurs logiciels pour vérifier qu’ils n’ont pas raté une date de sortie ou une remise de peine. Europe 1 a pu consulter un modèle de fiche que le renseignement pénitentiaire complète pour chaque sortie. Identité, motif d’incarcération, origine du suivi, situation personnelle, pénale, synthèse du parcours en détention, affinités, inimitiés, pratiques notables, établissements fréquentés, suivi judiciaire ou pas à la sortie… Tout y est consigné et assorti d’une évaluation de la dangerosité sur un paragraphe ou une page maximum. L’état-major de la CIRP est chargé de vérifier qu’il n’y a pas de faille de sécurité, qu’elle est compréhensible par tous ceux à qui elle va être diffusée et qu’il n’y a aucune information perdue.