Danielle, 43 ans, a perdu son mari, qui s'est suicidé : "C'était sa seule issue pour être en paix"

"Le suicide, on ne l'évoque plus", assure Danielle. Photo d'illustration.
"Le suicide, on ne l'évoque plus", assure Danielle. Photo d'illustration. © sasint / Pixabay
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Thibaud Le Meneec
Il y a plus de dix ans, son mari s'est donné la mort. Danielle est alors passée par tous les stades : la colère, l'incompréhension, la tristesse… Avant l'acceptation et la capacité à être de nouveau heureuse, comme elle l'explique à Olivier Delacroix, mercredi.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Le mari de Danielle a mis fin à ses jours il y a onze ans, alors que leurs enfants avaient 4 et 6 ans. Seule et sans explication au début, cette mère de famille s'est résolue à remonter la pente pour ses enfants, à qui elle voulait montrer que "la vie est belle quand même". Plus de dix ans plus tard, elle a fait son deuil, partageant son expérience avec d'autres personnes dans cette situation. Elle raconte son expérience jeudi, au micro Europe 1 d'Olivier Delacroix.

"Au départ, c'est une grande incompréhension, on se dit que ce n'est pas possible. Moi, je n'ai rien vu venir, ma famille et ma belle-famille non plus. Il y avait beaucoup de questions. La culpabilité, aussi, de ne pas avoir su faire ce qu'on aurait peut-être pu faire. Il n'était pas déclaré dépressif. Certes, il était anxieux, angoissé et maniaque, mais de là à penser qu'il pouvait mettre fin à ses jours… C'est très brutal et incompréhensible.

Les enfants, "des éponges"

Je n'ai pas eu d'explication au geste en tant que tel. Ce qui résulte souvent des échanges, c'est qu'il y a une souffrance insupportable chez ces personnes-là. Pour eux, la seule issue est la mort. Ce qui est dur à comprendre pour l'entourage, c'est qu'il n'y a pas de raisons rationnelles. L'acceptation est de se dire qu'on n'aura jamais la réponse. On ne sait pas ce qui s'est passé dans sa tête. Ce dont je suis sûre, c'est qu'il voulait qu'on soit heureux et il ne l'a pas fait pour nous faire du mal. C'était sa seule issue pour être en paix.

Moi, je n'ai pas vu de psychiatre, ce sont mes enfants qui ont été suivis par une pédopsychiatre, dès le soir-même. C'était indispensable pour eux, parce que je ne savais pas du tout comment m'y prendre. Les pédopsychiatres sont là pour ça, et ça les a beaucoup aidés.

Au début, on est là sans y être vraiment. J'ai des souvenirs très flous des jours qui ont suivi le décès, notamment la sépulture. Rapidement, il y avait les enfants qui étaient là. Ce sont des éponges et ils voyaient que je n'allais pas bien, donc je sentais bien qu'il fallait que je me relève rapidement pour qu'on avance. J'ai été très entourée par ma famille et ma belle-famille, ç'a été très important.

" Maintenant que les enfants sont un peu plus grands, je prends le temps de réfléchir à tout ce qui s'est passé "

Il est décédé le jour des vacances, on avait trois semaines de congés à suivre, et j'ai repris le travail à la suite de ces congés pour reprendre une vie sociale. Pendant ces trois semaines, ce sont les mêmes questions qui reviennent à l'esprit, sans avoir de réponses. On tourne en rond, et c'était pour moi indispensable de reprendre le travail.

J'ai un peu fui ces idées qui me venaient à l'esprit, donc je me suis occupée au travail, avec les enfants. Ça m'a aidé à passer à autre chose. Les enfants m'ont portée, parce qu'ils sont plein de vie. Malgré le fait qu'ils aient perdu leur papa très tôt, il fallait leur montrer que la vie est belle, quand même.

>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici

On en a beaucoup parlé en famille, parce qu'ils avaient vécu la même chose que nous : ma belle-mère a perdu son fils, mes belles-soeurs ont perdu leur frère… J'ai tenté quelquefois d'en parler à des amis, mais on sent que c'est difficile quand on n'a pas connu ce départ. L'entourage rajoute aussi de la culpabilité, sans le faire exprès, en demandant pourquoi ça s'est passé, alors que nous-mêmes n'avons pas la réponse.

Pendant toutes ces années, j'ai été très occupée avec les enfants, le travail, etc. Maintenant que les enfants sont un peu plus grands (ils ont 15 et 17 ans), ça me laisse plus de temps, donc je prends le temps de réfléchir à tout ce qui s'est passé.

Investissement dans une association

Je reste convaincue qu'on doit vivre pour nos défunts et non pas mourir avec eux. On n'oublie rien, on ne l'oublie pas, il nous porte. Il nous a rendus plus forts. On passe les épreuves qu'on affronte aujourd'hui et on sait qu'on va s'en sortir. Pour me sentir mieux, je me suis vraiment consacrée aux enfants : je voulais vraiment leur donner une belle image de notre famille. Ils font de la musique, du sport… On est heureux malgré ce drame qui est arrivé il y a onze ans. J'ai des enfants extraordinaires, donc ça aide.

Je suis tombée par hasard sur le site 'Vivre l'absence'. J'ai vu que des soirées d'échange étaient organisées autour du suicide. Au début, j'y allais un peu pour moi, pour échanger sur mon expérience. Étant donné que j'ai du recul, ça me permet de donner un peu d'espoir à ceux qui ont connu ce deuil très récemment. Il y a toutes ces étapes à passer : la colère, l'incompréhension, la tristesse… J'ai envie de leur dire que ces étapes sont indispensables pour se relever ensuite.

Au début, il faut faire des efforts pour aller vers les autres, continuer les réunions de famille, fêter les anniversaires, etc., mais ça vaut le coup parce que ça nous permet d'accepter cette absence et de se rendre compte qu'on peut continuer et être heureux, pour le faire vivre à travers nous. Aujourd'hui, on va plutôt très bien. Le suicide, on ne l'évoque plus. En revanche, on parle très régulièrement du papa, qui est toujours avec nous dans des situations très anodines. Les souvenirs qui nous rendaient tristes nous rendent aujourd'hui plus joyeux."

L'avis du spécialiste

Christophe Fauré, psychiatre et psychothérapeute spécialisé dans l’accompagnement des ruptures de vie

"Le suicide est une mort 'qui n'aurait jamais dû survenir', que la personne a décidé de s'imposer, pas tant pour mourir, mais pour mettre fin à une souffrance pour laquelle elle ne trouvait pas un moyen d'apaisement. Les proches sont tellement submergés de culpabilité, parce qu'ils se disent 'quelle est la qualité de l'amour que j'ai pu donner si cet amour n'a pas été capable de retenir à la vie la personne disparue ?'.

Danielle est un parfait exemple de ce que signifie le processus de deuil après un suicide : la plus grande peur des personnes qui perdent un proche est l'oubli. Elle nous dit que la souffrance s'est apaisée grâce au processus de deuil, qui n'est pas l'oubli. Ce n'est absolument pas tourner la page, comme trop de gens l'imaginent.

Une des premières choses, c'est de nommer ce qui s'est passé, de ne pas avoir peur de dire 'qu'est-ce qu'il s'est passé, ce que tu ressens, qui était cette personne que tu as perdu'. Il faut aussi ne pas hésiter à prononcer le prénom de la personne et continuer à évoquer les souvenirs de cette personne. La personne en deuil pense tous les jours au disparu. Il est important d'honorer sa mémoire, ce qui contrecarre cette grande peur de l'oubli chez les proches."