Conductrice de bus, Nicole a causé la mort d’une femme : "Je vis avec"

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Léa Beaudufe-Hamelin
Nicole était conductrice de bus depuis 29 ans quand elle a percuté et causé la mort d’une vieille dame. Elle a alors été mise en examen pour homicide involontaire et placée sous contrôle judiciaire. Trois ans après les faits, Nicole confie à Olivier Delacroix toujours vivre avec un sentiment de culpabilité.
TÉMOIGNAGE

Après avoir mené une carrière de conductrice d’autobus sans accroc pendant 29 ans, Nicole a percuté une vieille dame qui traversait la rue. Cette dernière, encore consciente après l’accident, est finalement décédée. Mise en examen pour homicide involontaire, Nicole a vu son permis lui être retiré et a été placée sous contrôle judiciaire. Trois ans après les faits, Nicole a été relaxée. Elle confie à Olivier Delacroix vivre avec le poids de cette mort sur la conscience et revoir l’image de la femme qu’elle a renversée.

Nicole se souvient du jour de l’accident : "J’ai entendu un claquement sec. J'ai mis les warnings et le frein de parking. Je suis restée sur place. Je suis sortie et j'ai vu le corps d'une petite dame qui était en position fœtale. Ce n’était pas beau à voir. Trois ans après, c'est toujours aussi vif. Il n'y avait pas de témoin. Quand je suis descendue, la dame était consciente. Elle montrait qu'elle avait mal sur le côté. Les pompiers sont arrivés très vite. Ils l'ont médicalisée une heure sur place, puis ils l’ont emmenée à l'hôpital de Maubeuge.

Elle a été polytraumatisée. Je l'ai appris après. Elle avait des côtes et le col du fémur cassés. Elle avait une fracture du crâne. Sur le moment, on est choqué, mais on est prêt à faire n'importe quoi pour que cette dame se relève. C'est indescriptible, parce qu’on est impuissant. Cette dame était connue et aimée de tout le monde. C’était une mamie, une très gentille dame. Tout le monde le disait. Je me suis même fait insulter par une personne qui passait là, disant que j'étais un assassin parce qu’il connaissait cette dame.

Le SMUR est parti avec les pompiers vers Maubeuge. Les constatations étant faites, les policiers m’ont dit que je pouvais repartir. Puis, un policier est venu me dire : ‘La dame est décédée. Vous êtes en garde à vue.’ Je suis partie avec la police au commissariat de Maubeuge. Quand on a un accrochage comme ça, on culpabilise. On se dit qu’on a fait quelque chose qu'il ne fallait pas. On n'a peut-être pas été assez vigilant.

" Je revois encore cette dame aujourd'hui, allongée le long du bus "

Au commissariat, deux policiers m’ont demandé de relater les faits ; ce que j’ai fait. Après, on m’a demandé d'enlever les bagues, les lacets et le soutien-gorge, comme je suis une femme. C'est plutôt dégradant. On prend les empreintes. On vous photographie de face et de profil. Puis, on vous dit qu’on viendra vous rechercher. On vous met en cellule. Vous attendez. Vous avez le temps de réfléchir. Je revois encore cette dame aujourd'hui, allongée le long du bus. C'est ça qui est le plus pénible."

Dans la foulée de sa garde à vue, Nicole est transférée au tribunal. Elle confie garder un souvenir amer de l’interrogatoire de la substitut du procureur : "Elle posait toujours des questions à charge, jamais à décharge. Elle martelait : 'Vous êtes une professionnelle de la route’. Je me souviens d'une attitude vraiment froide. Pour moi, c'est quelqu'un qui était là pour charger la mule, vulgairement parlant. Je le pense encore aujourd'hui. Quand je suis sortie de là, je n'étais vraiment pas bien. On se prend pour un criminel de la route, un délinquant. Je l'ai senti comme ça."

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Après sa mise en examen, le permis de conduire de Nicole lui a été retiré et elle a été placée sous contrôle judiciaire. Grégory, le fils de Nicole, raconte comment il a vécu ce qui arrivait à sa mère : "J’avais un sentiment de haine. Je ne comprenais pas. On se pose des questions. Il y a une décision, mais on n'a pas l'explication de celle-ci. On est encore plus dans le flou. Il y a un enchaînement entre le retrait du permis et le contrôle judiciaire. On se pose plein de questions. On se demande comment ça va finir. 

Depuis ce moment-là, elle est devenue insomniaque. Elle n'arrive plus à dormir. Elle dort deux ou trois heures par nuit. Trois ans, quand on est dans l'attente d'un jugement, c'est difficile. En se mettant à la place de maman, on se dit que c’est invivable. On avait peur qu'elle fasse de la prison. Ensemble, on ne parlait pas de ça." Nicole confie qu’elle redoutait aussi le verdict du procès : "Il y a une peine minimale et une peine maximale de cinq ans de prison ferme. Il y a aussi l'aspect pécuniaire, parce que l'amende pouvait aller jusqu'à 400.000 euros."

" C’est quelque chose que je trainerai jusqu'au bout "

Le procès a finalement eu lieu trois ans après l’accident. S’exprimant à la barre, le fils de la victime a tenu des propos favorables à Nicole. Elle se souvient : "Il a simplement dit: ‘Je ne voudrais pas que madame ait des problèmes avec la justice par rapport à la mort de ma mère’. Il faut avoir les nerfs solides pour dire ça. Il faut être humble. Ça fait chaud au cœur d'entendre le fils de cette dame dire : ‘J'ai un manque, mais je ne vous en veux pas’. 

J'ai attendu deux heures avant l'énoncé du verdict. Je suis sortie à 21 heures du tribunal en étant relaxée. Je ne m'y attendais pas, vu le réquisitoire du procureur de la République qui montrait la faute professionnelle et l'homicide involontaire. Ce n'est pas une joie en soi, ni une fin en soi parce qu’on a toujours la présence de cette dame décédée. C'est quand même moi qui l’ai conduite à la mort. C'est moi la responsable. C’est quelque chose que je trainerai jusqu'au bout.

Je l'ai avec moi, je vis avec. Je n'en parle pas, ni à mon mari, ni à mes enfants. La semaine dernière, un collègue m’a demandé comment ça allait. Je dis que je vis avec. Mes collègues m’ont permis de garder la tête hors de l’eau. Les transports, c'est une grande famille. Quand il arrive un coup dur, les gens viennent. C'est comme un nid d'abeilles. On se téléphone. Mais c'est quelque chose qui est dur à supporter. Heureusement qu'on est solidaires dans la famille."