Comment parler de sexualité à des élèves ?

© XAVIER LEOTY / AFP
  • Copié
De l'école au collège, "l'éducation à la sexualité" fait partie du programme. Mais en pratique, la question n'est pas toujours simple à traiter.

"Comment un clitoris 3D va aider les élèves français à en apprendre sur le sexe", titrait, en août, The Guardian, au sujet de l'invention d'Odile Fillod. Cette dernière, qui se définit comme une "chercheuse indépendante en sciences médico-sociales", a mis au point, avec l'aide d'une amie artiste, un modèle de clitoris en trois dimensions, imprimable au moyen d'une imprimante 3D. Son objectif : aider les enseignants français à enseigner le plaisir sexuel, et notamment le plaisir féminin, aux élèves. Selon Libération, le clitoris 3D devrait même être diffusé en janvier aux enseignants, "sur une plateforme de ressources pédagogiques anti-sexistes", qu'ils ne seront pas obligés d'utiliser. En attendant, les professeurs peuvent déjà librement s'appuyer dessus dans le cadre de leurs cours d'éducation à la sexualité.  

>> Mais le clitoris 3D a-t-il vraiment sa place en salle de classe? De manière générale, est-ce le lieu pour enseigner le plaisir sexuel ? Comment aborder ces questions face à des adolescents ou des enfants ? Que valent les cours "d'éducation sexuelle" aujourd'hui ? Europe 1 a mené l'enquête.

Parler du plaisir oui, mais sans le "standardiser". Pour Valérie Sipahimalani, professeure de SVT à Paris et secrétaire générale adjointe du SNES, le clitoris 3D ne doit pas être "une obligation". Mais "s'il peut permettre de mieux comprendre le corps et le plaisir des femmes, c'est important", soutient-elle. "Le plaisir féminin est souvent oublié. Le professeur doit choisir son outil pédagogique. Mais c'est bien s'il a la palette la plus large possible", estime l'enseignante. Odile Fillod, la conceptrice du clitoris 3D, ne dit pas autre chose. "​Il est essentiel que les femmes sachent que l’équivalent du pénis chez elles n’est pas le vagin, mais le clitoris. Les femmes ont des érections lorsqu’elles sont excitées, mais elles restent invisibles parce que le clitoris est interne. Je voulais montrer que les hommes et les femmes ne sont pas foncièrement différents", détaille-t-elle dans le Guardian.

>> Le fameux clitoris 3D :

L'objet est, toutefois, encore loin de faire l'unanimité. "Avec un clitoris 3D, le risque est double", juge ainsi Stéphane Clerget, pédopsychiatre et auteur de Bien vivre ta première relation sexuelle si tu es une fille et Bien vivre ta première relation sexuelle si tu es un garçon. Et de poursuivre : "Cela créé un risque de provoquer l'excitation et l'agitation dans la classe. Mais il y a aussi un risque de malentendu : celui de croire que le plaisir s'apprend par un professeur, alors que c'est quelque chose de personnel. Avec un professeur qui montre un modèle 3D, il y a une idée d'injonction. Des élèves risquent de se dire : 'ah, si je ne prends pas du plaisir comme ça c'est que je suis bizarre'".

"Les fondamentaux dans la sexualité sont le respect, l'intimité et la découverte. La construction du plaisir sexuel doit se faire avec la découverte. Parler du clitoris à des adolescents est important pour évacuer la honte. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose de le montrer en 3D", avance également Hélène Romano, sexologue et auteure de École, sexe et vidéo. "Cela transgresse cette notion de découverte. Les adolescents ont une représentation du corps qui est imaginaire. Ils ont besoin de rêver, de fantasmer, de se représenter. En montrant un objet standardisé comme un clitoris 3D, on fixe cet imaginaire. Cela ne leur apprend pas la différence qu'il y a d'une femme à l'autre. Il n'y a pas un seul corps comme un autre. Si on va jusqu'au bout de la logique (d'un clitoris 3D), on peut aussi mettre un couple en train de faire l'amour au milieu de la classe ou apprendre à faire une fellation. Mais je ne pense pas que ça apprenne à avoir du plaisir ! En parler oui, mais le montrer, je suis sceptique", conclut la sexologue.

" Ce n'est pas forcément facile d'aborder ces questions "

L'Education nationale trop frileuse ? Pour Stéphane Clerget, s'il faut parler du plaisir à l'école, cela ne peut être qu'au moyen de termes très généraux. "Il faut dire qu'il n'est pas interdit de faire tel ou tel chose, expliquer les différentes manières d'avoir du plaisir, chez la femme comme chez l'homme. Il faut donner des informations sur les moyens de protections, les contraceptifs. Et en même temps bien souligner ce qu'il y a d'acceptable et de non acceptable (forcer quelqu'un, se masturber en public etc.). C'est même ça la première chose à faire", détaille le pédopsychiatre.  Le problème, pour Stéphane Clerget, c'est que ce "B.A.B.A n'est même pas encore correctement enseigné". Et là-dessus, tout le monde est d'accord : l'éducation sexuelle, même la plus basique, peine à s'imposer à l'école.  

Durant tout son parcours scolaire un élève doit, en théorie, suivre des cours "d'éducation à la sexualité". Depuis 2003, en effet, ces enseignements sont obligatoires. Si, à l'école primaire, les maîtres ne sont tenus de délivrer que quelques connaissances de base (anatomie, définition de l'intimité, de la pudeur…) les choses sont censées s'intensifier dans le secondaire. Trois séances  par an doivent être proposées aux  élèves de collège et de lycées. Généralement, cela se passe en cours de SVT : l'enseignant assure la séance ou demande l'intervention d'une association. Cela se décide chaque année lors de réunions des équipes pédagogiques.

Les objectifs sont résumés, ici, sur le site du ministère de l'Education nationale. Parmi eux : "apporter aux élèves des informations objectives et des connaissances scientifiques ", "permettre une meilleure perception des risques" ou encore "faire connaître aux élèves les dimensions relationnelle, juridique, sociale et éthique de la sexualité". Avec les nouveaux programmes, les professeurs de SVT, sont, en outre, désormais tenus de dispenser un cours pour "expliquer sur quoi reposent les comportements responsables dans le domaine de la sexualité", lit-on sur le site du ministère de l'Education nationale. Les professeurs sont incités, par exemple, à "expliquer la distinction entre reproduction et de sexualité". Pour la secrétaire générale du SNES, cela peut offrir, enfin, un bon cadre "pour parler enfin du plaisir. Alors qu'historiquement, le sexe est abordé via les interdits".

Mais dans la pratique, ces enseignements ont du mal à trouver leur place. De l'avis de nombreux acteurs, l'éducation sexuelle n'est évoquée qu'une ou deux fois par an, voire pas du tout. Et beaucoup prédisent le même avenir à ces questions dans les nouveaux programmes. "Il y a tout ce qu'il faut en termes juridiques. Mais sur le terrain, c'est plus difficile. Les équipes pédagogiques ont toujours autre chose à faire. Et elles ne savent pas toujours à qui s'adresser", explique ainsi Véronique Soulier, présidente d'Estim', la principale association qui intervient dans les établissements et forme les enseignants sur ces questions.

"Ce n'est pas forcément facile d'aborder ces questions. Les cours d'anatomie sont abordés comme un cours de science comme un autre. Mais les cours d'éducation sexuelle, c'est différent. Il faut savoir s'y prendre avec un adolescent. Même avec toute la bonne volonté du monde, on peut aboutir à des effets inverses de ce que l'on voudrait. Il vaut donc mieux être formé", confirme Valérie Sipahimalani, la professeure de SVT. "La formation, en théorie, les enseignants y ont droit. Mais dans les faits, peu y ont recours. Il n'y en a pas assez pour tout le monde, et l'on prétexte qu'il y a toujours autre chose à faire", regrette-t-elle.

" Certains élèves font dans la provocation "

Comment parler de sexe à des adolescents ? L'enseignante, qui a plusieurs fois abordé ces questions en classe, notamment face à des élèves de première (14 à 16 ans en moyenne), a bien en tête les difficultés : "Certains élèvent parlent facilement, d'autres pas du tout. Parfois cela déclenche des fou-rires. Certains font dans la provocation : cela peut-être des blagues sexistes, des commentaires homophobes etc. Et il n'y a pas de recette miracle pour calmer l'attention. Il faut cadrer, parfois rappeler la loi, expliquer par exemple aux élèves : 'certes, ta religion interdit l'homosexualité, mais tes propos sont répréhensibles par la loi'. En revanche, il ne faut pas juger la personne. On peut juger des propos, mais pas la personne".

Selon la professeure de SVT, il y a surtout un piège dans lequel il ne faut pas tomber : "il ne faut pas se projeter soi-même". "Certains enseignants, même à l'insu d'eux-mêmes, peuvent condamner certaines choses, ou donner l'impression qu'ils condamnent. Il faut arriver à faire dire les choses sans que l'élève se sente jugé. Un élève vierge, par exemple, c'est tout à fait acceptable. Tout comme un  élève plus débridé. L'enseignant ne doit pas projeter son propre jugement, ni parler de sa propre expérience", assure-t-elle. Et de poursuivre : "Il faut être capable de lancer des débats. La sexualité est quelque chose de personnel, il faut apprendre aux élèves à réfléchir par eux-mêmes pour qu'ils puissent s'emparer eux-mêmes du sujet, sans risque".

Pour Stéphane Clergét, ce n'est pas forcément à un enseignant d'aborder ces questions-là. "Je pense que des membres d'associations spécialisées sont plus adaptés", glisse le pédopsychiatre. Et de s'expliquer : "Tous les profs ne sont pas à l'aise avec ces questions. Et les élèves n'osent pas forcément poser des questions à leur prof, qu'ils vont revoir tout au long de l'année. L'intervenant extérieur peut faire office de tiers. A condition que les parents d'élèves soient associés au recrutement de ces intervenants".

Véronique Soulier, présidente d'Estim', l'association qui intervient en collège et lycée, est effectivement rodée. Pour elle, un professeur peut très bien parler de sexe à ses élèves. Mais il doit connaître quelques principes de base. "On doit mettre un cadre en place, ne pas se moquer. On explique que la sexualité ce n'est ni tout blanc ni tout noir, c'est gris. Il faut aborder les questions sans tabou, mais dans la limite du respectable. Généralement, les élèves sont surpris et ils écoutent", raconte-t-elle. "Le plus souvent, ce qu'il se passe sous la couette, les élèves le savent. C'est plus dans la relation affective, humaine, qu'ils ont à apprendre. On met l'accent sur le plaisir, le respect, le consentement. On leur apprend à se construire des valeurs : on leur dit, par exemple, qu'ils ne doivent pas tout accepter s'ils n'en ont pas envie, qu'ils peuvent réfléchir à comment dire non", poursuit-elle. Et de conclure : "Tous les intervenants ne sont pas forcément à l'aise avec le sujet. Ils ont l'impression de rentrer dans l'intime des jeunes. Un jour, une infirmière m'a confiée qu'elle refusait de parler de masturbation avec des garçons. Or, on ne leur demande pas de rentrer dans l'intime, mais de parler de ces choses de manière générale".