Comment endiguer l'insécurité en milieu scolaire ? "La réponse à la violence, ce n'est pas la répression"

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Romain David , modifié à
LE DÉBAT - Après l'agression d’une enseignante par un lycéen armé d'un pistolet airsoft, le gouvernement a promis une série de mesures. Pour les invités de Wendy Bouchard dans Le Tour de la question sur Europe 1, ces mesures ne doivent pas se limiter à la seule mise en place de dispositifs sécuritaires.
LE TOUR DE LA QUESTION

Moins d'une semaine après la vidéo choc d'un lycéen braquant son enseignante, l'épineuse question de la sécurité des personnels éducatifs, mais aussi de la montée des violences en milieu scolaire, est de nouveau sur la table. Dans un entretien au Parisien, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education, a promis une "batterie de réponses" et des sanctions. Cela doit-il passer par un renforcement des dispositifs de sécurité à l'intérieur des établissements ? Nous vous avons demandé sur la page Facebook d'Europe 1 si vous êtes favorables à l'installation de portiques, de caméras et de détecteurs de métaux dans les établissements scolaires. Sur 3.500 votes à 7h20, vous êtes 71% à avoir répondu "oui".

"Jamais auparavant il n'y avait eu autant de violence dans la société, il faut donc que des mesures soient prises, que cela plaise ou non à ceux qui s'en sentent offensés !", tempête un internaute dans un commentaire. Invité mercredi du Tour de la question, l'émission de Wendy Bouchard sur Europe 1, Hervé Kurower, consultant éducatif privé auprès des familles en difficulté, y voit lui aussi une occasion d'apporter des réponses. Concernant les portiques précisément, "ça peut être un moyen de détecter certaines choses : des armes, des couteaux. Dans le moindre centre commercial on est scanné", rappelle-t-il.

>> De 9h à 11h, on fait le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l'émission ici

Le risque de transformer l'école en prison. Michel Fize, sociologue spécialiste de la jeunesse et Frédérique Rollet, enseignante et secrétaire nationale SNES-FSU, le premier syndicat des enseignements de second degré, tous deux également invités du Tour de la question, se veulent moins catégoriques, ne serait-ce que pour des questions de faisabilité. Comment faire passer au détecteur 400 à 600 élèves qui doivent être en cours à 8 heures ? "Vous avez du matériel dans les établissements scolaires. Il y a des cours de techno, il y a des outils qui peuvent devenir des armes", pointe également la syndicaliste, qui ne croit pas non plus à une interdiction totale des portables, mesure défendue par le ministre. "On ne va pas fouiller les élèves, de toute façon on n'a pas le droit".

"L'idée des portiques de sécurité est une fausse bonne réponse, elle renvoie à l'idée que l'école serait par définition un lieu d'insécurité à haut risque, qu'il faudrait protéger. Pourquoi ne pas imaginer aussi de grands murs de 10 mètres de hauts ?", ironise Michel Fize, qui estime que ce genre de réponse s'arc-boute sur une vision archaïque de la société. "La réponse à la violence, ça n'est pas la répression […]. Nous avons changé d'époque, nous sommes dans des sociétés démocratiques et non plus dans des sociétés de puissance paternelle. Le schéma ancien est à jamais périmé". Pour ce chercheur, la réponse sécuritaire est ponctuelle et ne traite pas le mal à la racine.

" On a laissé dériver la violence des mots et on a permis qu'elle devienne des violences physiques "

Un "réarmement moral". "Il faut se demander pourquoi, il y a une trentaine d'années, des élèves ont commencé à insulter des profs", interroge le sociologue. "Je pense que l'on a laissé dériver la violence des mots et que l'on a permis qu'elle devienne des violences physiques, voire sexuelles", analyse Michel Fize. "On est dans une situation d'incivilité générale. […] C'est l'individualisme roi. Les gens ne se parlent plus que par incivilité. C'est l'incivilité qui fait le lien social aujourd'hui. La société s'est complètement délitée et il n'y a plus de cadres moraux", poursuit le sociologue qui plaide pour un "réarmement moral" de la population, à travers, par exemple, la mise en place dans les cursus pédagogiques de cours dévolus au rapport à l'autre, sur le modèle de ce qui se fait en Allemagne

"Bien se conduire s'apprend, je crois que les familles ont oublié, au fil du temps, que pour qu'une valeur soit acquise, il faut qu'elle soit nommée", pointe-t-il. "Il faut réorganiser la vie scolaire et redéfinir un contrat entre les enseignants et les élèves".

Élargir les équipes éducatives. Mais encore faut-il se donner les moyens de ses ambitions. L'Education nationale a-t-elle, actuellement, les compétences nécessaires à disposition pour désamorcer une violence qui s'enracine dans des situations sociales parfois complexes ? "Je serais favorable à l'installation d'assistant(e)s d'éducation, d'infirmier(e)s, de psychologues, de professeurs, d'éducateurs(trices), d'animateurs(trices) en nombre suffisant... bref d'humanité dans les établissements scolaires", plaide ainsi Angèle sur la page Facebook d'Europe 1.

Pour Frédérique Rollet, l'enseignant a effectivement trop souvent tendance à être laissé seul par sa hiérarchie face à des problèmes qui dépassent très largement le seul cadre éducatif, au-delà duquel il n'est pas toujours compétant. "Le gros problème des enseignants, c'est le manque d'équipes pluri-professionelles dans les établissements. Un enseignant est tout seul dans sa classe. S'il doit gérer un problème important, il faut qu'il puisse en parler, et y compris renvoyer le jeune vers quelqu'un d'autre", relève-t-elle. "Parfois, on peut désarmer une agressivité latente, et ça, ça manque", déplore-t-elle.