Christophe Guilluy, géographe, essayiste et auteur du livre Les dépossédés, était l'invité d'Europe Matin mercredi. 2:28
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Laura Laplaud , modifié à
Christophe Guilluy, géographe, continue d'affiner son diagnostic avec son nouveau livre "Les dépossédés", publié aux éditions Flammarion. Un essai dans lequel l'essayiste analyse et décrit la nature des mouvements de contestation en Occident depuis une trentaine d'années, qui ne ressemblent pas à ceux des siècles passés. Il était l'invité d'Europe Matin mercredi.

"Ils subissent un éloignement géographique, social, politique et culturel. Ils sont la majorité. Ils sont à l’origine de toutes les contestations actuelles, qui ne ressemblent à aucun des mouvements sociaux des siècles passés. Ils sont les dépossédés", écrit Christophe Guilluy, dans son essai Les dépossédés, publié aux éditions Flammarion. Invité d'Europe Matin mercredi, le géographe revient avec ce nouvel essai et dresse un nouveau diagnostic sur le devenir des classes populaires et moyennes. "Je dis toujours : on peut naître en milieu populaire, vivre en milieu populaire, et mourir en milieu populaire et réussir sa vie. C'est une chance d'être né dans un milieu populaire", a-t-il dit au micro d'Europe 1.

"La contestation est nourrie par de l'immatériel"

Les "dépossédés" sont une majorité de citoyens que l'auteur qualifie de majorité ordinaire qui n'entend plus se laisser dicter les règles et leur comportement. Un concept qui permet d'analyser et de décrire la nature des mouvements de contestation en Occident depuis une trentaine d'années. "Quel est le point commun de tout cela ?" s'est-il interrogé. "Il y a quelque chose de différent par rapport aux mouvements sociaux du 19e siècle, du 20e siècle. À l'époque, les gens manifestaient pour obtenir de nouveaux droits, des meilleures conditions de travail, des meilleurs salaires, mais aujourd'hui la contestation n'est pas nourrie spécifiquement par du matériel mais aussi par de l'immatériel", a-t-il détaillé.

Dépossession sociale, culturelle et des lieux

Selon Christophe Guilluy, les "dépossédés" sont ceux qui se révoltent contre la destruction de leur patrimoine aussi bien matériel qu’immatériel, et les contestations d'aujourd'hui seraient donc l'expression d'un "sentiment généralisé d'être dépossédé de ce que l'on avait mais aussi de ce que l'on est". "Cette question de la dépossession est portée par une majorité ordinaire, ce que l'on appelait hier la classe moyenne", a-t-il indiqué. Une classe qui aujourd'hui n'a plus de repères sociaux, culturels, et qui se retrouve également dépossédée des lieux, selon l'essayiste.

Une dépossession qui s'est d'abord réalisée dans les grandes villes, "puisque l'on avait plus besoin de ces classes moyennes pour faire tourner la boutique". "C'est bêtement ce qu'il est passé dans les grandes métropoles françaises et européennes avec la gentrification, l'embourgeoisement des quartiers populaires et tout cela s'est fait dans la joie et la bonne humeur ! Et d'ailleurs, quand ils arrivent, tout devient beau. Un petit village avec des catégories supérieures, c'est un beau village", a poursuivi Christophe Guilluy.

"Paris, ville ouverte, à 10.000 euros le m2, c'est un peu étonnant"

L'essayiste prend alors l'exemple de la côte Atlantique pour illustrer son propos. "Le littoral Atlantique devient le mur de l'Atlantique, vous ne pouvez plus, si vous avez des revenus modestes, accéder à la propriété évidemment mais aussi au loyer. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'un jeune né sur ce territoire ne peut plus vivre là où ses parents vivaient", a-t-il expliqué sur Europe 1. 

"Il y a un processus de sécession pervers, celle des catégories supérieures. Il y a une concentration de la création d'emplois, donc des richesses, dans ces grandes villes dites ouvertes, d'ailleurs il y a une emphase communicationnelle car plus on s'enferme, plus on dit qu'on est ouvert : Paris, ville ouverte, à 10.000 euros le m2, c'est un peu étonnant", a-t-il observé. "On a des catégories supérieures qui se sont finalement repliées, concentrées dans ce que j'appelle les nouvelles citadelles, qui sont géographiques mais aussi culturelles."

Naître dans un milieu populaire était-il une chance à une autre époque ? "Quand j'étais gamin, à aucun moment, on ne posait la question de la mixité sociale. Est-ce que je dois aller à l'école, [moi, fils d'ouvrier], avec un fils d'avocat pour réussir ma vie ?" Selon Christophe Guilluy, cette question ne se posait pas car sa classe sociale était intégrée économiquement, politiquement et donc culturellement. "C'est une chance d'être né dans un milieu populaire parce que ça véhicule des valeurs, des mœurs, une façon de vivre", a-t-il conclu.