Samuel Paty 1:34
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Virginie Riva, édité par , modifié à
Le journal "Le Monde" publie mercredi les messages échangés par Samuel Paty, la direction de son collège et ses collègues professeurs avant sa décapitation, le 16 octobre. Dans ses mails, l'enseignant évoque une "rumeur malfaisante", alors que de deux de ses collègues se désolidarisent.

Voilà près de cinq semaines que les enquêteurs se demandent comment Samuel Paty a pu être décapité devant son propre collège, une dizaine de jours après avoir montré les caricatures du prophète Mahomet à ses élèves de quatrième. Quelle a été l'attitude de la direction de l'établissement de Conflans-Sainte-Honorine, mais aussi des collègues de l'enseignant ? Le Monde a eu accès aux derniers mails du professeur, échangés avant sa mort, vendredi 16 octobre.

Une situation jugée absurde, puis malfaisante

La correspondance numérique entre Samuel Paty et sa hiérarchie commence le 8 octobre, deux jours après ce cours où il a montré deux caricatures du prophète Mahomet. La principale du collège du Bois d'Aulne l'alerte : un individu a menacé de faire venir des musulmans devant le collège et d'alerter la presse.

A posteriori, la réponse de Samuel Paty est glaçante : l'enseignant parle d'absurdité de la situation, qui touche au comique. Puis, son ton change. Il parle d'une "rumeur malfaisante" : "C'est vraiment affligeant", écrit-il, "d'autant plus que cela provient d'une famille dont l'enfant n'a pas assisté à mon cours et que je ne connais pas". Le professeur ajoute qu'il ne travaillera plus sur les caricatures en classe.

Un mail d'explication à ses collègues

Tout au long de ces échanges, on voit que le soutien de la principale est constant. Elle alerte les services départementaux de l'Éducation nationale, mais rien n'y fait. La situation s'embrase à l'extérieur du collège.

Deux de ses collègues enseignants se désolidarisent en interne au cours du week-end. Samuel Paty leur adresse à tous un mail pour s'expliquer, le soir du dimanche 11 octobre, soit cinq jours avant sa décapitation. Il assume d'avoir montré une caricature "trash" et d'avoir proposé aux élèves qui auraient pu être choqués de ne pas la regarder ou de sortir. Il fait aussi part de ses doutes et de ses regrets : "Faut-il ne pas froisser ou être totalement neutre ? Peu importent les questions juridiques, j'aurais dû dépasser ces arguties juridiques et éviter de faire une erreur humaine."

Le collège encore sous le choc

Samuel Paty a alors remonté le fil de la propagation de cette rumeur et leur raconte : il a appelé une mère d'élève qui avait mal compris sa démarche, l'accusant de discrimination. L'enseignant explique qu'elle a très bien pris son coup de fil. On comprend que c'est cette mère qui en parle au père de famille, Brahim C., qui a tourné la vidéo accablant Samuel Paty. Le professeur indique qu'il va déposer plainte et se défend contre ses deux collègues qui ne le soutiennent pas. Il indique qu'il demandera à un huissier de saisir les mails des enseignants qui ne le soutiennent pas à titre de preuves éventuelles, dit-il.

Selon une source locale, depuis l'assassinat de Samuel Paty, la vie n'a pas du tout repris au collège du Bois d'Aulne. Tout le monde va mal et se pose cette question : "Qu'aurions-nous dû faire de plus ?"