Bac 2018 : la lutte contre la triche aux calculatrices vire au casse-tête

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Le ministère de l’Education nationale voulait imposer pour le bac des calculatrices disposant d’un mode "examen", avant de se rétracter.

La méthode est enfantine. L’élève enregistre son cours de chimie ou des formules mathématiques dans la mémoire de sa calculatrice. Et le jour de l’examen du baccalauréat, il peut discrètement les retrouver et s’en servir sans être repéré. Ce type de fraude, très répandu selon DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), a fait l’objet d’une note de service du ministère de l’Education nationale, en 2015. Cette note prévoyait d’imposer aux candidats, à partir de cette année, une nouvelle sorte de calculatrice le jour du bac, avec laquelle la triche serait impossible. La consigne devait être passée aux équipes pédagogiques, chargées d’en informer les élèves pour qu’ils aient le temps de s’équiper de la nouvelle machine avant le mois de juin et la date de l’examen. Mais le ministère a finalement décidé de se rétracter, craignant un risque de cafouillage pour le jour J.

Comment fonctionnent les nouvelles calculatrices ?

Les calculatrices type Texas Instrument classiques devaient en effet être prohibées dès cette année. Modèle très répandu, il se transmet souvent entre frère et sœur, permettant à nombre de familles d’économiser l’achat d’une nouvelle machine chaque année. Mais le ministère de l’Education nationale voulait obliger les élèves à les remplacer par des nouvelles calculettes dotées d’un "mode examen". En clair, ce type de machines permet, grâce à une manipulation relativement simple, d’effacer toute la mémoire de la calculette au moment de l’examen. Lorsque ce "mode examen" est activé, un petit signal lumineux apparaît, permettant ainsi à l’enseignant de vérifier que la manipulation a été faite. Pour désactiver le mode examen et revenir en arrière, il faut être muni d’un câble spécial à relier à un ordinateur, ce qui offre la garantie que l’élève ne retrouve pas ses cours pendant l’examen.

Pourquoi ne seront-elles pas imposées cette année ?

Le hic ? Le message n’est pas suffisamment passé auprès des élèves et une bonne partie d’entre eux, n’est, à l’heure actuelle, pas encore équipée. Le ministère de l’Education nationale craint ainsi que tous les élèves ne soient pas munis de la bonne calculatrice le jour du bac. "De nombreuses académies ont signalé qu’un nombre significatif d’élèves ne disposait pas à ce jour d’une calculatrice conforme à cette nouvelle réglementation", indique le ministère au Journal du Geek. Autre inquiétude potentielle ayant conduit à ce renoncement : la batterie de ces calculatrices. Lorsqu’elles ne sont pas suffisamment chargées, le mode examen est inutilisable. Et le ministère de l’Education craint que tous les élèves ne soient pas au courant de ce détail d’ici le jour J. "Compte tenu du calendrier des épreuves des différents examens et du temps nécessaire à l’appropriation des fonctionnalités des modèles autorisés, il a été décidé de surseoir à l’application de la circulaire pour la présente session", indique-t-on encore.

Un renoncement qui fait grincer des dents

Mais la nouvelle de ce rétropédalage n’a pas manqué de susciter quelques critiques. Car s’équiper de ce type de calculatrices a un coût (de 45 à 150 euros), et les élèves qui en ont déjà acheté une se retrouvent pénalisés. "C'est honteux ! Plusieurs de mes élèves viennent de dépenser 80 euros ce week-end pour rien. Ils s'étaient équipés en prévision du bac blanc qui se déroule cette semaine", rage Frédérique Dubourg, professeur de mathématiques dans Le Parisien. Sur la toile, de nombreux élèves témoignent de la même frustration :

Le changement pourra-t-il se faire l’an prochain ?

D’autant que la polémique pourrait ne pas se limiter à cette année. Le ministère, qui entend bien imposer ces nouvelles calculettes l’an prochain, compte sur une meilleure communication des équipes pédagogiques pour inciter les élèves à s’équiper. Mais cela ne lèvera pas tous les obstacles, à en croire certains acteurs. "La plupart de nos élèves viennent de familles très défavorisées, et il nous est impossible d’obliger ces parents sans le sou à dépenser cinquante euros pour une calculatrice"¸ indique une enseignante du Pas-de-Calais interrogée par Slate.

Risque également de se poser le problème de l’activation du "mode examen" lorsque deux épreuves scientifiques nécessitant une calculette se suivent. Pour vérifier que ce mode est activé, il faut que la calculette émette un signal. Or, cela nécessite, entre deux épreuves, de désactiver le  "mode examen" et de le réactiver ensuite. Ce qui nécessite, comme on l’a vu plus haut, de brancher sa calculette sur un ordinateur via un câble. "Dans le cas de la série scientifique, il faudra désactiver le mode examen chez soi entre la fin de l’épreuve de physique, soit le jeudi à 11h30, et le début de l’épreuve de maths, qui a lieu le vendredi à 8h. Dit comme ça, ça n’a pas l’air insurmontable. Mais il n’est pas dit que tout le monde parvienne à mettre la main sur son câble, à se brancher sur la calculatrice du voisin ou de la voisine, ou à utiliser le logiciel adéquat sur l’ordinateur familial", détaille une autre enseignante citée par le pure player.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Dernier obstacle de taille : le risque de bidouillage. Sur plusieurs forums prisés des lycéens, des combines s’échangent pour contourner le mode examen et faire s’allumer le signal lumineux de la calculatrice par d’autres biais.

D’où la question, posée par certains : est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? "On sait que les élèves ont tous des formules enregistrées dans la mémoire, mais ça ne leur garantit pas d'avoir une bonne note, loin de là, car l'essentiel est de savoir les appliquer", résume un enseignant dans Le Parisien. Et de conclure : "Tout ça, c'est du business. Cette affaire a surtout été l'occasion pour les marques de vendre de nouvelles machines". Pour rappel, toute personne surprise en train de tricher le jour de l’examen peur se voir interdire de le passer pendant cinq ans, et risque également des sanctions pénales pouvant grimper à 9.000 euros d’amende.