Avec la guerre aux portes de l’Europe, doit-on réintroduire le service militaire obligatoire pour les jeunes français ?

© GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
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Maxime Asseo
La guerre en Ukraine entre aujourd’hui dans sa troisième année et pose la question d’un retour du service militaire obligatoire dans plusieurs pays d’Europe, y compris en France. Inutile et passéiste pour les uns, indispensable et urgent pour les autres, le sujet fait débat.

Deux ans que les chars russes ont été lancés sur l’Ukraine. Deux ans que la guerre s’enlise aux portes d’une Europe inquiète de la voir déborder au-delà de ses frontières. Se sentant menacés, certains pays, comme la Lettonie, font machine arrière et réintroduisent le service militaire obligatoire. Le ministre de la Défense allemand Boris Pistorius y est favorable et 66% des Français regrettent sa suppression. C’est 7 points de plus qu’en 2006 (Ifop, 2023). Alors faut-il réintroduire le service militaire obligatoire sur le territoire national ? Europe 1 ouvre le débat.

Passéistes et nostalgiques

"Penser que l’on verrait débouler des chars russes à la frontière du Rhin, c’est de la pure science-fiction. On n’est pas près de revoir une guerre de tranchée". Pour le général et directeur de la Revue Défense Nationale Jérôme Pellistrandi, la réponse est claire : réintroduire le service militaire obligatoire est contre-productif. Son argument ? La dissuasion nucléaire. Un élément majeur de notre défense selon lui, couplé à l’aspect géographique : "La guerre avec l’Allemagne est terminée. Contrairement à l’Ukraine, on ne sera pas attaqué demain par un voisin menaçant et obligé d’envoyer des milliers d’hommes au front", assure Jean-Dominique Merchet, journaliste à l'Opinion et auteur de "Sommes-nous prêts pour la guerre ?". Pour lui, le contexte est radicalement différent. Fini les armées de masses, la guerre froide, quand l’armée soviétique était "extrêmement puissante et capable de passer les frontières". "Aujourd’hui l’armée russe est au fin fond de l’Ukraine", analyse le journaliste, tout en qualifiant les partisans du service militaire de "passéistes et nostalgiques".

Retour au temps de la guerre froide

Une posture presque assumée par le général et ancien directeur de l’école de guerre Vincent Desportes. En reprenant la célèbre maxime "un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre", il considère que l’histoire se répète inlassablement. "Depuis 1917, la Russie est un pouvoir totalitaire. Elle se voit comme un empire qui doit s’agrandir". Aujourd’hui ses menaces "se concrétisent de jour en jour" pendant que les États-Unis ont tendance à "s’éloigner de nous".

 

Malgré la dissuasion nucléaire, le retour du service militaire obligatoire est "indispensable". L’un étant "indissociable de l’autre", comme au temps de la guerre froide où les menaces justifiaient une véritable stratégie de dissuasion. "Avant 1989, la conscription permet à la France d’envoyer ses fils se battre en cas de danger et montrer notre volonté de défendre le pays. Au bout d’un certain nombre de soldats tués, le feu nucléaire est envisagé. Il y avait un véritable lien théorique entre l’engagement du contingent et la justification du tire nucléaire". Pour Vincent Desportes, avec les menaces existentielles actuelles, "similaires à celles de la guerre froide", il faut revenir à cette complémentarité conscription - dissuasion "pour faire comprendre à Vladimir Poutine qu’il ne doit pas chercher à poursuivre sa guerre au-delà des frontières de l’Ukraine". "Le but n’est pas de faire la guerre, mais de veiller à ce qu’elle n’arrive pas."

Quid de la jeunesse ?

Dans les faits, les jeunes sont-ils prêts à revêtir l’uniforme ? Rien n’est moins sûr. 85 % des 65 ans et plus regrettent le service militaire obligatoire contre 27 % des 18-24 ans (Ifop, 2023). Si la jeunesse est globalement réticente au retour de la conscription, "il sera difficile de l’imposer dans une démocratie comme la nôtre », juge Jérôme Pellistrandi. Vincent Desportes reconnaît l’impopularité d’une telle mesure, qu’il faut pourtant imposer selon lui : "Nos gouvernants doivent être courageux, passer au-delà des états d’âmes et penser au bien de la population en expliquant que la liberté et notre modèle de démocratie est menacé".

 

Outre le consentement, environ 700 000 jeunes - hommes et femmes - seraient concernés chaque année par le service militaire. "Qu’est-ce qu’on leur fait faire ? Où les loger ? Comment les armer ? Qui les encadre ? Ça n’a aucun sens !", assure Jean-Dominique Merchet. "Le coût est disproportionné par rapport à l’intérêt opérationnel", complète Jérôme Pellistrandi. D’où l’importance de "revoir nos priorités" en faveur d’un budget spécifique pour le service militaire, "financé par l’impôt", défend Vincent Desportes : "Soit vous payez maintenant avec de l’argent, soit plus tard de vos libertés". Si effort budgétaire il y a, il doit avant tout servir au développement des capacités industrielles d’armement : "Nous devons être capable de produire des obus", martèle Jean-Dominique Merchet, mais aussi renforcer l’organisation de la nation. "Penser au ravitaillement des grandes métropoles, à la lutte contre la désinformation plutôt que le service militaire", ajoute Jérôme Pellistrandi.

Favoriser la réserve

Sans nier l’importance de l’armée, Jean-Dominique Merchet mise aussi sur le développement massif des réserves - militaires à temps partiel - pour gonfler les rangs en manque d’effectifs, ce qui demande une réforme profonde de l’institution. "Il faut développer des formules plus souples et attractives pour les jeunes sans revenir à l’obligatoire. Une forme d’alternance entre la fac et l’armée par exemple, défend le journaliste, ce n’est pas aux jeunes de s'adapter aux besoins des états-majors mais à eux de s'adapter à la société". La réserve opérationnelle est d’ailleurs une des priorités du ministre des Armées Sébastien Lecornu. Il avait twitté en juillet 2023 : "un réserviste pour deux militaires d’active d’ici à 2035".