Après les attentats, le climat peut-il se durcir à Nice ?

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Après l'attentat du 14 juillet, certains redoutent que la situation se tende dans la capitale azuréenne.

Si les attentats se multiplient, "vous aurez une confrontation entre l'ultradroite et le monde musulman". Le 24 mai dernier, Patrick Calvar, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), alertait en ces termes la commission d'enquête parlementaire sur la lutte contre le terrorisme. Cette mise en garde, qui valait pour la France entière, s'applique-t-elle à Nice plus qu'ailleurs, depuis l'attentat de jeudi dernier ? C'est en tout ce cas ce que laissent entendre plusieurs commentateurs.

"La communauté musulmane redoute les effets pervers de l’attaque du 14 Juillet, dans cette ville où cohabitent bon an mal an de nombreux habitants issus de l'immigration et des groupuscules identitaires", écrit lundi le quotidien Libération, dans un long reportage sur place. "Difficile de choisir meilleure cible que la côte niçoise pour attiser les haines", lit-on également dans Le Monde en date de mardi. "Paradoxalement, Nice est une ville cosmopolite, habituée aux vagues d’immigration mais où les tensions sont réelles, notamment vis-à-vis de la communauté maghrébine", indique également l’historien Dominique Escribe, auteur de plusieurs ouvrages sur la Côte d’Azur, interrogé dimanche par La Croix.

" Le risque est peut-être un peu plus haut ici qu'ailleurs "

Cosmopolite, la capitale azuréenne l'est sans aucun doute : avec 17,5% d'habitants nés à l'étranger, Nice est, selon un recensement de l'Insee en date de 2013, l'une des villes françaises (hors Ile-de-France) avec le plus fort taux d'immigration, loin devant Marseille (13,3%) et Lyon (12,6%). Parallèlement, le vote FN y a bondi, passant de 3,5% aux départementales de 2008 à près de 40% aux dernières régionales. Nice abrite aussi le siège du "Bloc identitaire", ce mouvement d'ultradroite, régionaliste et résolument anti-islam. Mais peut-on vraiment y voir là des conditions particulièrement propices à un embrasement ? "Embrasement, c'est beaucoup dire. Mais on pourrait assister à des actes de violence isolés, de représailles. Le risque est peut-être un peu plus haut ici qu'ailleurs", explique à Europe 1 Philippe Jérôme, auteur de Nice, Un siècle d'histoire populaire (éditions Gilletta).

"D'un côté, vous avez une extrême-droite fasciste historiquement très présente à Nice, avec même chez certains une nostalgie de l'OAS (l'organisation armée secrète, organisation politico-militaire radicale des années 60 qui défendait l'Algérie française). Rappelez-vous l'attentat contre un foyer de migrants Sonacotra en 1978 (commis par le 'Groupe Charles-Martel', un groupe armé qui se qualifie "d'anti-arabe"). De l'autre côté, Nice a été la ville qui a fourni le plus de candidats au djihad (une centaine de départs en Syrie pour rejoindre Daech ont été enregistrés par la place Beauvau, dont 20 en 2013). Il y a des recruteurs et des imams salafistes. En clair, il y a des fascistes des deux bords", résume Philippe Jérôme. Et de conclure : "si des discours un peu haineux se répandent, cela peut déclencher une volonté de vengeance violente chez des esprits un peu paumés".

" Le Bloc identitaire, on n'entend plus parler d'eux "

"Il est difficile d'anticiper des critères concrets pour anticiper un éclatement" au sein de la ville, tient à nuancer, pour sa part, Pierre Dévoluy, journaliste et fin connaisseur de la capitale azuréenne. "Il faut d'abord tirer les bons enseignements sur 'la présence de l'extrême droite'. Au premier comme au deuxième tour des élections régionales, à Nice, c'est Christian Estrosi qui est arrivé en tête, pas le FN. Les événements de ces derniers jours vont peut-être entraîner du repli sur soi, un certain rejet de l'autre. Mais rien ne dit que cela ira jusqu'à la radicalité. Quant au Bloc identitaire, cela fait plusieurs mois, voire plusieurs années, qu'on n'entend plus parler d'eux : ils n'organisent plus de manifestations, on n'entend plus parler d'eux dans les journaux etc.", poursuit Pierre Dévoluy.

D'aucuns pourraient y voir le signe d'une "politisation" de l'extrême droite qui, "pour gagner le pouvoir, devient plus consensuel (le leader du Bloc, Philippe Vardon, a d'ailleurs été élu conseiller régional Paca en 2014, sur la liste de Marion Marechal Le Pen)", souligne Philippe Jérôme.

" L'absence de lieux de prière favorise les réseaux clandestins "

Pour le journaliste Pierre Dévoluy, il faut également nuancer la radicalisation liée à l'islam dans la capitale azuréenne. "Les départs en Syrie depuis Nice ont quasiment disparu ces deux dernières années. De nombreuses actions de prévention se mettent en place, les interlocuteurs se sont clarifiées, un numéro vert a été créé. Une association d'universitaires, "Entr'autres", a également été créée, pour comprendre les raisons de ces départs. Je pense que tout cela a un effet positif", avance le journaliste, auteur de plusieurs ouvrages sur la région.

"Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup d'étrangers, et même de personnes d'origine maghrébine, sont décédées jeudi. Ils étaient là pour la Fête nationale, ne l'oublions pas. Peut-être que cela va réveiller quelque chose, dans le ventre mou de la société, pour intensifier la lutte contre les radicalités", renchérit-il, avant de mettre en garde : "ce qui reste l'une des caractéristiques de Nice, toutefois, c'est l'absence de lieux de prières musulmans. Or, l'absence de lieux 'officiels' favorise l'apparition d'imams autoproclamés, de réseaux clandestins, qui sont de potentiels terreaux de recrutement".

Reste que le dossier est particulièrement épineux à Nice faute, notamment, d'investisseurs faisant consensus pour financer la construction de mosquées. Tout le monde, en revanche, est d'accord sur un point : ne pas coller à Nice la seule image d'une pétaudière en puissance. "Aux gens qui veulent résister, je leur dis d'aller voir l'exposition rétrospective d'Ernest Pignon-Ernest (plasticien, précurseur de l'art urbain et chantre du multiculturalisme) actuellement à Nice, d'aller écouter Youssou N'Dour, musulman soufi, au Festival de Jazz", martèle Philippe Jérôme. Et de conclure, optimiste : "c'est par l'éducation et la culture que l'on s'en sortira. Et Nice, c'est aussi ça".