Villiers-le-Bel, six ans après les émeutes

Bob, Romaric et Anselme devant la nouvelle Maison Jacques Brel de Villiers-le-Bel
Bob, Romaric et Anselme devant la nouvelle Maison Jacques Brel de Villiers-le-Bel © MAXPPP
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avec Matthieu Bock , modifié à
REPORTAGE - État des lieux d'une ville en pleine reconstruction, encore marquée par les émeutes de 2007.

Villiers-le-Bel, une banlieue pas comme les autres. Perdues au milieu des champs du Val-d'Oise, les tours de béton semblent ici avoir été absorbées par une nature omniprésente. Arbres touffus, pelouses bien vertes : une ville "bucolique", de l'avis général de ses habitants, qui traîne pourtant une image toute autre à l'extérieur.

En novembre 2007, la mort de deux jeunes mineurs, dans une collision à moto avec une voiture de police, avait embrasé les cités de cette commune de 27.000 habitants. Trois nuits de violentes émeutes s'en étaient suivies, couvertes par les médias du monde entier. Plus de cinq ans après ces événements, le procès du fonctionnaire qui conduisait le véhicule s'est ouvert jeudi à Pontoise. A cette occasion, Europe 1 s'est rendue sur place à la rencontre des habitants. Si Villiers-le-Bel a changé, le malaise de sa jeunesse y est toujours palpable.

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© Europe1.fr/MAB

Une ville en chantier. En ce mois de juin 2013, marqué par l'arrivée tardive des beaux jours, Villiers-le-Bel a tout d'une ville où il fait bon vivre. Grâce aux travaux engagés dans le cadre du projet de rénovation urbaine (PRU), le programme de réhabilitation des quartiers sensibles en France, des arbres ont été implantés dans les quartiers et les immeubles ont été rafraîchis. L'école maternelle Louis Jouvet et la bibliothèque attenante, incendiées lors des émeutes, ont été reconstruites dans l'urgence dès 2008 dans des bâtiments provisoires, en attendant d'intégrer des structures dernier cri. Au centre de la commune, la maison Jacques Brel, un centre culturel flambant neuf avec studio d'enregistrement, laboratoire photo et salle de danse, accueille les ados de tous les quartiers depuis son inauguration en janvier dernier. Avec la construction de nombreux logements, la ville est également parsemée de chantiers. La municipalité espère ainsi permettre aux jeunes parents d'accéder à la propriété sans quitter la ville.

AVANT-APRES - La métamorphose de la ville en images

Un jeune sur trois au chômage. Villiers-le-Bel est avant tout une ville jeune : un tiers de ses habitants a aujourd'hui moins de vingt ans. Pour cette jeunesse qui s'affiche partout dans la ville, l'accès à l'emploi reste le principal obstacle. Le chômage des jeunes culmine ici à 29%, selon les chiffres de la commune, quand la moyenne nationale est à 25%. Anselme, 32 ans, s'engage dans une formation de technicien supérieur en conception mécanique. Après de nombreuses années de recherche d'emploi, il explique que la mauvaise réputation de sa ville reste un handicap. "Il est clair que lorsque l'on dit que l'on vient de Villiers-le-Bel, les gens vont tout de suite 'tilter' sur les émeutes", confie-t-il au micro d'Europe 1.

Anselme : "Ils tiltent sur les émeutes":

"L'employeur va tout de suite se demander si ce gars ne va pas foutre la merde, s'il ne va pas casser son magasin et tous ces trucs-là. Donc la plupart du temps, le résultat est que l'on n'obtient pas de réponse", raconte-t-il. Une situation qui le pousse parfois à mentir en se présentant comme un habitant d'Arnouville-les-Gonesse, la ville voisine, moins connotée : "ça passe mieux".  Si cette parade n'a pas encore "porté ces fruits" dans sa quête d'emploi, Anselme a eu plus de chance en l'appliquant dans un autre "domaine" : "il m'est même arrivé de me présenter à des filles comme un gars d'Arnouville au lieu de Villiers-le-Bel", et ça marche, assure-t-il dans un grand éclat de rire.

Envie d'entreprendre. Confronté à ce plafond de verre de l'embauche, Thibault Baka, 29 ans, a tenté de forcer la chance en créant sa propre structure. Au lendemain des émeutes, il fonde son entreprise de recrutement : TMS consulting pour Tout travail Mérite Salaire. Le but ? Accompagner les jeunes de Villiers vers l'insertion professionnelle en leur tenant un discours réaliste et pragmatique. "Je n'hésitais pas à dire à un jeune : 'tu veux travailler à l'aéroport (de Roissy) ? Avec un casier judiciaire tu ne pourras pas'", assure-t-il aujourd'hui.

Thibault Baka : "on ne leur tenait pas de discours formatés"

"On ne le faisait pas rêver. Quand il n'était pas du tout employable, je lui conseillais d'ouvrir sa société et je lui montrais combien de patrons du Cac 40 ne sont pas diplômés", raconte-t-il. En à peine quelques mois, Thibault a réussi à placer une trentaine de jeunes. Mais faute de financements, son entreprise a finalement rapidement périclité. Devenu écrivain, il a édité lui même son premier ouvrage fin 2011, une "autobiographie romancée" intitulée Le Bon Lieu, et vit désormais de son art.

Quelles relations avec la police ? La question est dans toutes les têtes. A Villiers-le-Bel, personne ne remet en cause la mission de la police. Dès 2008, 21 policiers de proximité sont venus grossir les effectifs des forces de l'ordre dans le cadre du dispositif des unités territoriales de quartier (Utec). Si cette mesure a permis de désamorcer le plus gros des tensions, les émeutes ont, là encore, laissé des traces. Et l'architecture du commissariat de la ville, en forme de forteresse, apparaît comme un symbole. Pour Romaric, jeune commercial à Rungis de 25 ans, les relations entre policiers et jeunes de cités restent difficiles. "La jeunesse de Villiers-le-Bel ne se sent pas en sécurité quand ils sont là. La pression de la police est énorme. C'est la même (qu'en 2007)", lâche-t-il. "Il faut qu'ils arrêtent de frapper leur tête contre un mur et qu'ils viennent dialoguer".

Romaric : la pression de la police est énorme

 

Une situation qui pousse certains travailleurs sociaux à dresser un constat sévère, en forme d'avertissement : aujourd'hui encore, des émeutes pourraient tout a fait exploser à Villiers-le-Bel. Et signe que l'équilibre actuel reste précaire, le maire de la ville n'a pas souhaité répondre aux questions d'Europe 1, la municipalité s'interdisant toute déclaration au premier jour du procès jeudi. Près de six ans après.