Prostitution : la réforme en vue sera-t-elle applicable ?

Le projet prévoit de ne plus sanctionner le projet de loi (photo d'illustration).
Le projet prévoit de ne plus sanctionner le projet de loi (photo d'illustration). © MAXPPP
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LE DÉBAT - Policiers, prostituées, associations, clients : comment ils envisagent la proposition de loi "renforçant la lutte" contre la prostitution.

LA PROPOSITION. Sanctionner les clients plutôt que les prostituées : c'est l'objet d'une proposition de loi qui doit être débattue en fin de semaine à l'Assemblée nationale. La  mesure phare de ce projet consiste à punir l'achat d'acte sexuel, par une amende de 1.500 euros, doublée en cas de récidive. Côté travailleuses du sexe, le texte propose d'abroger le délit de racolage et d'offrir une porte de sortie et un accompagnement aux personnes souhaitant sortir de la prostitution. Mais dans les faits, cette réforme est-elle vraiment applicable ? Policiers, prostituées, clients ou associations de protections, que pensent de cette loi ceux qui vivent la prostitution au quotidien ?

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• Les policiers sont "dubitatifs". Si du côté des policiers, on se refuse à entrer dans tout débat politique ou sociétal, on n'en n'est pas moins "un petit peu dubitatif" quant à l'application éventuelle de cette loi, confie à Europe 1 Nicolas Comte, secrétaire général d'UNITÉ SGP Police, syndicat majoritaire de la Police nationale."Cela ne changera pas grand-chose pour les policiers qui travaillent en investigation sur les réseaux, qui remontent les filières pour essayer de faire tomber de véritables mafieux. Ce dispositif ne leur apporte pas de nouveaux moyens de lutte", relève-t-il. Plus gênant, sur le terrain, la loi pourrait se révéler carrément contre-productive : trop lourde à appliquer pour les unités de "voie publique". "Il faut qu'elles établissent l'infraction, que l'infraction soit constituée, que l'on ait pu surveiller et que l'on ait vu qu'il y a bien eu proposition. Ensuite il faut établir une procédure et renvoyer  devant le tribunal de police. Je pense que ce sera assez lourd". En clair, la loi risque de ne pas être appliquée dans certaines zones où les policiers sont déjà débordés. Une situation qui "n'est jamais une bonne chose en  République", note le syndicaliste."Si la police va de manière très importante contrôler les clients dans certaines zones cela éloignera la prostitution. Ce n'est pas neutre pour les riverains", relève Nicolas Comte, estimant cependant que le dispositif ne fera que déplacer le problème, voire en créer d'autres. 

>> Les chiffres-clés : on estime aujourd'hui à 20.000 le nombre de prostituées dites "de rue". Reste la prostitution invisible via internet, les bars à hôtesses ou salons de massages ect. Le Strass, le Syndicat du travail sexuel, parle de 400.000 prostituées dans toute la France.

• Les prostituées craignent d'être plus "isolées".  Le Strass, qui regroupe travailleurs du sexe, juristes, sociologues, et travailleurs sociaux, dénonce le texte dans un manifeste. Le groupe redoute que cette disposition "accentue la précarisation des prostituées en les forçant à davantage de clandestinité, en les éloignant des associations de soutien et de santé communautaire, et des structures de soins, de dépistage et de prévention". Une possibilité également envisagée de l'autre côté , par la police.  "Ça déplacera la prostitution vers les hôtels ou via internet, ça ne l'éradiquera pas. On peut penser que les prostituées qui sont aux mains de filières et qui ont des soucis continueront à avoir leurs problèmes tandis que les 'indépendantes' en auront de nouveaux", poursuit Nicolas Comte.

Des prostituées à la Motte-Servolex, en Savoie, à quelques kilomètres de Voglans.

• "Les prostituées ne sont pas les coupables", pour le Nid. "Quand on connait la situation des personnes prostituées à l'heure actuelle, leurs conditions d'activités et la vie qu'elles mènent, on voit difficilement comment cela pourrait être pire", répond-on au mouvement du Nid qui appuie le projet. "Ces femmes sont déjà isolées. Ce qu'elles nous disent très clairement c'est que le moment où elles sont le plus isolées est celui où la passe a lieu avec le client, que ce soit dans une voiture, le hall d'un immeuble ou une chambre d'hôtel", raconte à Europe 1 Justine Rocherieux, coordinatrice en Ile-de-France de ce mouvement "abolitionniste" qui vient en aide aux prostituées, sur le terrain, dans toute la France. Ainsi, pour l'association, pénaliser le client plutôt que la prostituée n'est qu'un moyen, une première "étape symbolique et politique".  "C'est considérer que pour la société l'Etat reconnait les coupables ne sont pas les prostituées, mais les proxénètes et les clients", poursuit-elle.

Seconde étape : que la prostituée soit reconnue en tant que victime par l’État. "Une fois qu'elle sont reconnues en tant que victimes, on peut légitimement demander des fonds, des moyens suffisants pour accompagner ces personnes dans des démarches d'insertion, d'accès au droit, à la santé et de reprise en main de sa vie", insiste-t-elle.  C'est précisément le troisième volet de la loi : apporter et financer un accompagnement aux personnes désirant sortir de la prostitution. Une loi qui est évidemment applicable, pour Justine Rocherieux. "Il faut garder en tête que nous sommes sur une périodicité longue. Ce projet de loi n'a pas vocation à trouver des résultats effectifs dans six mois. Il a pour vocation de bouleverser un système et faire en sorte que dans quelques années, on commence à voir des changements apparaître".

• Et les clients ? Kamel, un avocat de 50 ans rencontré par l'AFP,  ne connaît pas les filles de la rue. Lorsqu'il "consomme" des prostituées, c'est via Internet, par "le bouche-à-oreille", "le relationnel"dans un appartement meublé ou une chambre d'hôtel. Divorcé, l'homme reconnaît deux à trois rencontres tarifées par mois. Lui, n'est "pas inquiet" d'une possible pénalisation. Selon lui, la proposition de loi va surtout "contribuer à développer les réseaux souterrains" et "nuire aux indépendantes qui payent leurs impôts". "Ils ne peuvent pas éradiquer la prostitution, c'est de la poudre aux yeux", affirme-t-il en prônant une réouverture des maisons closes. Le bouche-à-oreille", "le relationnel", qui permet de rencontrer "des filles, que je reçois chez moi ou que je retrouve à l'hôtel, ni vu ni connu". 

>> Le débat : Les députés doivent désormais débattre de cette proposition vendredi,  et se prononcer le 4 décembre prochain.

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