Les ultra-cathos visent la culture

La pièce "Golgota Picnic" a déjà fait l'objet de manifestations à Toulouse.
La pièce "Golgota Picnic" a déjà fait l'objet de manifestations à Toulouse. © MAXPPP
  • Copié
, modifié à
Deux pièces se sont attirées les foudres d'intégristes qui les accusent de "christianophobie".

Une première sous haute tension se prépare au théâtre du Rond-Point. Cette salle parisienne présentait jeudi soir Golgota Picnic, une pièce de Rodrigo Garcia jugée blasphématoire par les intégristes. Dimanche, deux personnes évoluant dans cette mouvance ont été interpellées alors qu'ils étaient sur le point d'endommager les alarmes du théâtre du Rond-Point. Car les ultra-catholiques ont bien l'intention de perturber la représentation, comme ils l'ont déjà fait cet automne avec Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci.

Ils n'en sont pas à leur coup d'essai : au printemps dernier, ils ont déjà fait parler d'eux en protestant contre une exposition à Avignon. Deux photographies, dont "Immersion Piss Christ", une photographie montrant un crucifix plongé dans de l'urine, ont été détruites à coups de marteau. En octobre, des intégristes ont manifesté, dix jours durant, devant le théâtre de la Ville à Paris contre la pièce de Romeo Castellucci.

Dans ce contexte, les actions prévues contre le théâtre du Rond-Point inquiètent. Jean-Michel Ribes, directeur de la salle, a affirmé à Europe 1 avoir reçu "des menaces d'une violence extrême". "On craint le dingue qui tout d'un coup donne un sens à sa vie en tirant, en jetant un cocktail Molotov", a-t-il expliqué.

"Touche pas à mon Dieu !"

Pour les ultra-catholiques, la pièce de Rodrigo Garcia, déjà chahutée à Toulouse, banalise la "christianophobie". Chapelet en main, agenouillés par terre, ils ont ainsi été quelques dizaines à manifester chaque soir devant le Théâtre Garonne en chantant des cantiques, en récitant des prières ou mettant en scène des chemins de croix. Sur des banderoles, les inscriptions "Touche pas à mon Dieu !" ou "Théâtre corrompu, chrétiens dans la rue !".

"C'est une pièce qui nous insulte, on traite le Christ de 'putain du diable', les chrétiens de 'baiseurs d'enfants'", s'est insurgé jeudi sur Europe 1 François-Xavier Teron, porte-parole de l'Institut Civitas, fer de lance de la protestation.

"Marginalisés" au sein du FN

Dans ce mouvement politique "visant à rechristianiser la France", "tous les cadres religieux sont de la fraternité Saint-Pie X", créée par le très controversé Monseigneur Lefebvre en 1970, explique à Europe1.fr Nicolas Senèze, journaliste à La Croix et auteur d'un livre sur La crise intégriste.

Politiquement, ce mouvement proche du Front national a été "marginalisé depuis que Jean-Marie Le Pen a passé la main", poursuit Nicolas Senèze. Les positions de Marine Le Pen, une femme divorcée, partisane de la laïcité, ne passent pas. Et les actions contre la culture représentent pour ces ultra une "façon d'exister".

Les "trotskistes de l'Eglise"

"Ils jouent sur des amalgames", exploitant le thème de la "christianophobie" et se posant en "seuls vrais défenseurs" de la religion chrétienne, note Nicolas Senèze. "C'est de l'agit-prop", juge Nicolas Senèze, qualifiant ces intégristes de "trotskistes de l'Eglise". Le 29 octobre, ils n'ont réussi à rassembler que 3.500 personnes pour leur "grande manifestation" organisée à Paris. "Ils sont petits mais ils arrivent bien à se faire entendre", affirme Nicolas Senèze.

D'autant plus que l'Eglise n'a pas affiché de position claire sur ces questions. En s'en prenant à des pièces sans les avoir vues, les intégristes ont mis l'épiscopat français dans l'embarras. "Soit l'évêque condamne sans avoir vu", au risque de passer pour un obscurantiste, soit il défend la pièce, soit il ne dit rien et "laisse occuper le terrain". Ce qui s'est passé avec la pièce de Romeo Castellucci.

Mais la riposte s'organise et les choses sont différentes avec "Golgota Picnic", un spectacle jugé "blessant" par le porte-parole de la Conférence des évêques de France. Le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, a appelé les fidèles à participer à une "veillée de prière à Notre-Dame de Paris". "C'est une façon de ne pas entrer dans le jeu" des intégristes, note Nicolas Senèze, pour qui cette veillée dans un lieu "bien circonscrit" est une façon pour les catholiques de "manifester leur désapprobation", mais d'une façon moins explosive.

La droite de la droite s'y met

Le combat des intégristes trouve un écho dans la classe politique. Une soixantaine d'élus de droite, dont une vingtaine appartenant à la Droite populaire, le "club" des députés ancrés à la droite de l'UMP, très attaché aux valeurs traditionnelles, ont signé un texte du député de l'Isère, Jacques Remiller. Celui-ci, membre de la Droite populaire et du courant Humaniste de l'UMP, reprend les termes des intégristes et dénonce la "christianophobie" ambiante, fustigeant "l'Art', qui "est désormais trop souvent irrespectueux de la religion chrétienne".

"Quand c'est le judaïsme, l'islam modéré qui sont attaqués, il y a des réactions tout de suite", a-t-il assuré à Europe1.fr, affirmant qu'il n'en va pas de même pour le christianisme. "Certains clament leur très légitime indignation en manifestant publiquement devant théâtres ou salles d'exposition", affirme le député dans ce court texte. "Je n'ai rien à voir avec Civitas", insiste Jacques Remiller, qui appelle à une "prise de conscience" et affirme ne pas être "à la solde des fondamentalistes".

Un mouvement très minoritaire

Frédéric Lenoir, directeur de la rédaction du Monde des Religions, estime pour sa part dans la revue que le courant intégriste est "très marginal" et ne représente en France que "quelques dizaines de milliers de personnes". Pour lui, "il n'y a pas plus de 'christianophobie' aujourd'hui qu'il y en avait il y a 20 ans". Quant aux œuvres visées, elles "utilisent des symboles sacrés, notamment la figure du Christ, de manière libre dans un contexte artistique".

Une liberté que revendique Jean-Michel Ribes : "cela fait quand même 200 ans qu'on s'est battus pour être dans une République qui respecte tout le monde, mais qui respecte aussi les artistes et qui respecte le droit de création". Et l'homme de théâtre de conclure : "là-dessus, je ne rigolerai pas".