Les portraits-robots sont-ils (vraiment) efficaces ?

© EUROPE 1
  • Copié
, modifié à
Les enquêteurs ont diffusé lundi un portrait-robot dans l'affaire Chevaline. Un recours de la dernière chance.

L'affaire de Chevaline pourrait connaître une avancée après la diffusion lundi du portrait-robot du motard suspecté d'être impliqué dans la tuerie. Si aucune statistique n'existe sur le nombre d'affaires résolues grâce aux portraits-robots, ils sont souvent présentés comme "le recours de la dernière chance". Le portrait-robot n'est pas la panacée. Europe1.fr vous explique pourquoi.

>> A lire - Chevaline : le portrait-robot du mystérieux motard diffusé

Le premier portrait-robot c'était quand ? Également appelé "portrait-parlé", le concept du portrait-robot a émergé en France au début du 19ème siècle, sous l'influence d'Alphonse Bertillon. Dans une volonté de ficher les criminels, le criminologue avait mis en place des documents regroupant des mesures physiques et des photos des individus déjà condamnés. Ces fiches d'identité, sortes de portrait-robot, devaient permettre de confondre les récidivistes.

Dans les années 50, cette méthode sera généralisée à tous les suspects, via l'utilisation des portraits-robots. A partir des descriptions de témoins ou de victimes, un "classeur" crée par Roger Dambron, participant du concours Lépine en 1952, permet de réaliser des portraits-robots. Son invention comprend 2.000 morceaux de visage qui sont ensuite sélectionnés selon les descriptions des témoins. Utilisée par les services de police, cette invention permet en 1953 d'arrêter le meurtrier d'Eugénie Bertrant, dont le portrait avait été diffusé dans la presse.

Comment réalise-t-on un portrait-robot ? Aujourd'hui, les méthodes pour réaliser des portraits-robots ont bien évolué. Ils sont réalisés par ordinateur et les choix pour chaque partie du visage sont de plus en plus nombreux. Devant le témoin, une fois choisi le type racial, le policier fait défiler des dizaines de mentons, de cheveux, de bouches etc. La réalisation d'un portrait-robot se fait en une heure et demie environ.

Exemple de réalisation d'un portrait-robot :

Portrait-robot type

C'est quoi un bon portrait-robot ? Plus le portrait-robot est réalisé rapidement après les faits, plus il est efficace. "Un bon portraitiste et un bon témoin avec une bonne mémoire photographique, c'est bingo", confie un ancien policier de la brigade criminelle interrogé par Europe 1. "Pour réaliser un bon portrait-robot, il doit s'instaurer un lien de confiance entre le portraitiste et le témoin", ajoute-t-il. A la fin de la réalisation du portrait, le témoin doit ensuite noter sur dix le travail du portraitiste. Après quoi, le portrait peut être retravaillé. Mais dans tous les cas, le portrait s'appuie sur l'image rétinienne du témoin et peut donc être biaisé. Par ailleurs, l'augmentation des choix de visage n'est pas gage d'efficacité.

>> Voici le type de logiciel qui permettent de réaliser un portrait-robot

Comment s'organise la diffusion des portraits-robots ? Alors qu'ils foisonnaient dans les années 90, les portraits-robots sont de moins en moins utilisés par les enquêteurs et sont rarement diffusés à échelle nationale, notamment depuis la multiplication des caméras de vidéos surveillance. Mais à l'époque, il pouvait y avoir plusieurs portraits-robots d'un seul et même suspect.

Les portraits-robots sont en effet avant tout destinés aux personnes susceptibles d'avoir croisé le suspect. Les enquêteurs font par exemple du porte-à-porte pour montrer les portraits-robots aux voisins. Les portraits-robots ne sont diffusés à l'échelle nationale qu'en dernier recours. Il est en effet risqué de diffuser un portrait-robot qui permettrait au suspect de se reconnaître.

Quelles sont les limites des portraits-robots ? Ils s'appuient sur la description d'une personne qui peut potentiellement avoir une mauvaise mémoire visuelle, ou des souvenirs vagues du faciès du suspect. C'est pour cette raison que les enquêteurs évitent d'avoir recours trop souvent aux portraits-robots. "Je me souviens d'une enquête à Caen. Un témoin avait des souvenirs précis quant au véhicule d'un terroriste ; mais, quand nous avons fait le portrait-robot de celui-ci, ce témoin a oublié de mentionner que le truand avait des lunettes à verres très épais, si bien que nous sommes partis sur une fausse piste", se souvient le commissaire divisionnaire Dominique Gaillardon, chef du Service central de l'identité judiciaire à Ecully, interrogé par Le Point. Le lieutenant-colonel Michel Pattin, commandant la section de recherches de Paris, estime lui qu'"il faut savoir renoncer si le témoin, malgré ses dires, n'a pas l'air sûr".

L'exemple le plus flagrant est celui du tueur en série Guy George, accusé de sept meurtres et d'une tentative de meurtre, dans les années 90. Son portrait-robot n'était en effet absolument pas ressemblant. Le témoin avait en effet décrit un homme "de type maghrébin", à peau "cuivrée". Si bien que lorsque les enquêteurs l'arrêtent dans une autre affaire ils ne le reconnaissent pas et il est donc relâché. Ce n'est qu'à la suite d'une récidive que Guy George est arrêté et reconnu cette fois comme étant bien "le serial killer de l'est".

Le portrait-robot de Guy George

© Capture d'écran

Les autres recours des enquêteurs ? Généralement les portraits-robots qui permettent de résoudre des affaires concernent des suspects au visage hors du commun, présentant un signe distinctif. Sinon, les enquêteurs estiment que les portraits-robots peuvent être trompeurs. A partir d'un dessin à gros traits, les observateurs pouvaient au moins extrapoler. Une image trop fine, mais pas plus fidèle, réduit le champ des possibles, résume Le Point. Les enquêteurs préfèrent ainsi exploiter les signalements très précis des témoins, ou encore les fichiers Stic et Judex de la police et de la gendarmerie, jugés plus efficaces.