Garde à vue : ce qu'en disent les policiers

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Fabienne Cosnay , modifié à
Depuis avril, les auditions ont lieu en présence d’un avocat. Leur façon de travailler a changé.

La réforme de la garde à vue entre officiellement en vigueur, mercredi. Mais dès la mi-avril, les règles ont changé au sein des commissariats. Les rapports de force aussi. Nouvel équilibre qui se dessine lors de l’audition, alourdissement de la procédure, manque de formation, des policiers livrent leurs premières impressions à Europe1.fr, un mois et demi après la mise en application de la circulaire. Un premier bilan plus que mitigé.

"Personne n'était prêt"

Le premier jour. A l’origine, la réforme de la garde à vue ne devait entrer en vigueur que le 1er juin. Mais une décision de la Cour de cassation rendue le 15 avril a précipité son application. La Chancellerie a décidé de rendre certaines dispositions de la loi immédiatement applicables : la présence possible de l’avocat dès le début et tout au long de la garde à vue ( NDLR : jusqu’ici, la loi ne prévoyait qu'un entretien de 30 minutes) et la notification par les policiers du droit au silence du gardé à vue. Une circulaire (consulter le PDF) a été envoyée le même jour dans tous les commissariats de France. Un texte qu’il a fallu appliquer dans l’urgence, sans que les officiers de police judiciaire y soient préparés. "Personne n'était prêt (…) On a reçu un mail de neuf pages et c'est tout !, débrouillez-vous avez ça", relate José Brice, OPJ à Colmar, membre du syndicat Unsa Police.

Paperasse et compagnie. Tous les policiers que nous avons interrogés dressent le même constat : la procédure de la garde à vue serait alourdie, les contraintes techniques et juridiques prendraient le pas sur le bon déroulé de l’enquête. Avec la nouvelle réforme, l’avocat, à partir du moment où son client l’appelle, a deux heures pour se rendre au commissariat. Les policiers doivent impérativement l’attendre avant de commencer l’audition. "On n’est plus maître du tempo de l’enquête", déplore Michel-Antoine Thiers. "Le temps perdu ne se rattrape jamais et il est parfois nécessaire d'avoir recours à une prolongation de la garde à vue pour terminer les investigations. Ce qui est quand même un comble pour une réforme qui voulait initialement limiter les gardes à vue", renchérit José Brice.

L’avocat et ses "tours de magie"

Le rapport de forces a changé. Depuis la mise en place de la réforme, un gardé en vue sur trois en moyenne demande à être assisté par un avocat. Un chiffre qui serait en constante progression, selon le ministère de la Justice. Et une présence jugée déstabilisante par certains policiers. "Des collègues ont subi la pression de ténors du barreau qui font des tours de magie pour ralentir la procédure", rapporte Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat Alliance Police.

Le rapport de forces aurait aussi changé. Désormais, l’enquêteur peut se retrouver seul face au gardé à vue et à son avocat. Deux contre un. "Ce déséquilibre devrait conduire le policier à ne pas mener les auditions tout seul", estime Michel-Antoine Thiers, commandant de police au syndicat national des officiers de police (SNOP). "Mais matériellement, ce n’est pas possible", ajoute t-il. Faute de personnels et de locaux disponibles. "Mon bureau ne mesure pas plus de dix mètres carrés, alors imaginez la commodité des auditions entre le mis en cause, son avocat, parfois un interprète et moi", décrit José Brice.

"Le Poker menteur, c'est fini"

La révolution. A les écouter, les policiers ne vivent pas une simple adaptation mais une véritable révolution. La présence de l’avocat dès le début de la garde à vue et la notification du droit au silence du mis en cause ont changé la donne. La relation qui se crée entre le policier et le mis en examen ne serait tout simplement plus la même. "Avant, entre l'enquêteur et le gardé à vue, s'installait une sorte de "poker menteur". As-tu des cartes ? De bonnes cartes ? Je sais que tu sais mais que sais-tu ? Le dialogue, la prise de conscience ou le mea culpa sortaient bien souvent vainqueurs de l’audition, un sentiment de confiance planait parfois. Aujourd'hui, c'est terminé, on ne peut pas jouer au Poker à trois, surtout quand on est obligés de dévoiler son jeu", regrette José Brice, 14 ans de garde à vue au compteur. Déjà, dans leur quotidien, les policiers constatent que les personnes gardées à vue usent plus qu’auparavant de leur droit de se taire. "Cela va devenir la norme", pronostique Michel-Antoine Thiers.

Quelle formation ? Avec l’entrée en vigueur du texte, la formation des policiers à ce nouveau type d’audition va t-elle être systématique ? Au ministère de l’Intérieur, on évoque "des actions de formation continue qui seront déployées en fonction des besoins dans les commissariats". Sans toutefois donner de précisions sur le calendrier. En attendant, un site intranet a été mis en place pour répondre aux questions que peuvent se poser les policiers. Quant aux futurs officiers de police judiciaire, ils recevront une formation spécifique à l’école.