Faits divers et cinéma, une union légale ?

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11.6, sur les écrans cette semaine, est l'adaptation de l'affaire Toni Musulin. Qu'en dit la loi ?

"Le casse du siècle". Le 5 novembre 2009, Toni Musulin, le convoyeur de fonds, qui travaillait à l'époque pour la société Loomis, parvient à dérober 11,6 millions d'euros. Un casse sans violence, sans arme, ni complice. "Le vol le plus important en France depuis le casse Spaggiari" rappelle, comme pour justifier sa démarche, Philippe Godeau, le réalisateur du film 11.6, qui a décidé d'adapter cette histoire au cinéma.

11.6 est depuis mercredi en salles. François Cluzet y campe l'ancien convoyeur de fonds, condamné en appel à cinq ans de prison pour vol simple sans violence et escroquerie à l'assurance. Un énième film sur un fait divers. Europe1.fr, qui a pu voir ce long-métrage en avant première fait le point sur les règles qui encadrent ce type d'adaptation.

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Adapter oui, mais pas n'importe comment. L’adaptation d’un fait divers en livre ou à l'écran est possible, mais doit toutefois se conformer aux grands principes du droit, à savoir la présomption d'innocence, le respect de la vie privée ou de la mémoire des morts.

#La présomption d'innocence. Tout film qui s'inspire d'un fait divers tombe sous le coup de la loi sur la présomption d'innocence. En résumé : toute personne qui se voit reprocher une infraction est considérée comme innocente tant qu'un juge ne l'a pas déclarée coupable. "Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut (…) prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence", détaille Légifrance.

>> Dans le cas du film sur l'affaire Musulin. L'atteinte à la présomption d'innocence ne joue pas puisque Toni Musulin a été condamné le 11 mai 2010 à trois ans de prison avant de voir sa peine alourdie en appel quelques mois plus tard à cinq ans ferme. Par ailleurs, son pourvoi en cassation a été rejeté le 13 juin 2013. Le volet judiciaire de l'affaire Musulin est donc bien clos et l'ancien convoyeur de fonds a été formellement reconnu coupable de vol simple et fraude à l'assurance.

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#Le respect de la vie privée. A partir du moment où les intéressés sont identifiables - le plus souvent par leur nom et leur image - dans le film, ils peuvent engager des poursuites s'ils estiment que les images portent atteinte à leur vie privée. Mais bien souvent, les faits divers adaptés au cinéma ont fait au préalable l'objet d'une forte médiatisation, ce qui "brise la sphère protectrice de la vie privée", précise Slate. Des propos confirmés par Me Dufour, avocat de Mario Leblanc, le fils de la famille Flactif assassinée en 2003 au Grand-Bornand, en Haute-Savoie. Une affaire qui a été adaptée à l'écran en 2011 sous le titre Possessions. "Ces types d'affaires ayant été très suivies, très médiatisées, on ne peut pas considérer qu'en faire un film porte atteinte à la vie privée", estimait-il sur LeFigaro.fr.

>> Dans le cas du film sur l'affaire Musulin. Le réalisateur Philippe Godeau tient à préciser que les éléments relevant du privé sont tirés de faits largement médiatisés, notamment dans le livre de la journaliste Alice Géraud-Arfi, qui a écrit Toni, 11,6 : Histoire du convoyeur à partir d'entretiens réalisés avec Toni Musulin lui-même. Le réalisateur rappelle également que son film n'est d'en aucune façon "une reconstitution".

"Il fallait prendre nos distances et réinventer le réel. Par exemple, nous avons appris que Toni Musulin s'était violemment disputé avec son co-équipier peu de temps avant le casse. Nous avons supposé que cette brouille avait été provoquée par Musulin pour protéger son ami. Comme la séparation avec sa compagne. Nous n'en avons pas la certitude. C'est une hypothèse de fiction", commente-t-il. Pour se protéger de toutes poursuites, il est d'ailleurs indiqué au début du film un message du type : "ce film est basé sur des faits réels. Cependant il s’agit d’une adaptation libre".

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#La diffamation. Des poursuites peuvent aussi être engagées si le réalisateur expose des faits que la personne considère comme faux et portant atteinte à son honneur. Les intéressés peuvent en effet porter plainte s'ils estiment que le film laisse planer des doutes sur les personnes innocentées.

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>> Dans le cas du film sur l'affaire Musulin. Le réalisateur tient à préciser que son film se base uniquement sur les événements qui ont conduit Toni Musulin à faire son "coup", mais pas sur l'enquête qui a suivi pour tenter de retrouver la part du butin qui n'a pas été retrouvée par les enquêteurs. "Le sujet du film n'est pas sur la disparition des 2,5 millions. Personne ne sait où ils sont et Musulin a toujours affirmé qu'il ne les avait pas pris. (…) Le sujet, c'est ce qui amène un homme à voler 11,6 millions. Moi, je n'ai pas à prendre parti. Je constate et trouve ce mystère passionnant", commente Philippe Godeau.

#L'atteinte à la dignité humaine. Enfin, si le film est jugé trop voyeuriste ou sensationnel les personnes concernées peuvent engager des poursuites. Par exemple, si Toni Musulin était présenté comme un homme violent, prêt à tout pour avoir de l'argent, il aurait pu porter plainte.

>> Dans le cas du film sur l'affaire Musulin. Le réalisateur porte au contraire un regard plutôt bienveillant sur l'ancien convoyeur de fonds. "Musulin est quelqu'un qui parle peu mais qui agit. C'est un personnage à plusieurs facettes mais qui a des principes et ne veut pas être pris en faute. C'est surtout un homme qui encaisse les humiliations pendant des années, sans rien dire", analyse Philippe Godeau.

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