Congé grand-parental : progrès social ou hérésie ?

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DÉBAT - Progrès ou hérésie ? Le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement invite les entreprises à tenir de compte de ce rôle social dans l’aménagement du temps de travail.
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52 ans. C'est l'âge auquel, en moyenne, les Français deviennent grands-parents. A dix ans de la retraite, donc. Ces grands-parents qui travaillent jouent aussi, bien souvent, un rôle majeur dans la garde de leurs petits-enfants. Un engagement familial complètement ignoré par les entreprises.

Et si c'était pourtant là l'ultime progrès social ? Le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement a été voté la semaine dernière en première lecture à l'Assemblée. Et un passage du rapport annexé va dans ce sens : "les entreprises devront être incitées à prendre en compte ce rôle social [ de grand-parentalité active, NDLR ] dans l’aménagement du temps de travail prévu dans les plans de gestion des ressources humaines", peut-on lire.

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Des congés grand-parentaux, des crèches d'entreprises ouvertes aux petits-enfants des salariés… la société est-elle prête ? Et, surtout, ces belles intentions sont-elles réalistes, et même seulement souhaitables ? Europe 1 a posé la question à l'ancienne ministre déléguée aux personnes âgées Michèle Delaunay, à deux DRH de grandes entreprises et au délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises.

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# Michèle Delaunay, ancienne ministre : "lancer une dynamique, mais ne rien imposer"

13 millions de grands-parents. "Il y a 13 millions de grands-parents en France  et les familles totalement conventionnelles ne sont pas majoritaires, ce qui accentue le rôle du ou des grands-parents", analyse l'ancienne ministre qui a pensé et porté le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement.

"Ne pas légiférer". Pour la députée socialiste, ce rôle des grands-parents doit être mieux pris en compte dans la gestion des ressources humaines des entreprises et des collectivités. Mais ce n'est pas un hasard si le texte du projet de loi est purement incitatif et non contraignant. "Le cadre ne peut être législatif", juge en effet Michèle Delaunay qui appelle les partenaires sociaux à "entrer dans la discussion".

"Ce que j'ai voulu, c'est lancer une dynamique mais il ne faut rien imposer", martèle l'ex-ministre qui plaide pour un accès aux crèches d'entreprise des petits-enfants "à la charge de leur grand-parents", comme c'est souvent le cas dans les familles monoparentales.

"Pas si difficile". Quid de la mise en œuvre ? Aux yeux de Michèle Delaunay, "introduire davantage de flexibilité et de souplesse n'est pas si difficile pour les RH", en tout cas pas dans les entreprises de plus de 3.000 salariés.

Pour la rapporteure du projet de loi, la députée PS Martine Pinville, qui défend, elle aussi, l'idée de "progrès social" cela participerait de "la mise en place d'une politique vieillesse, comme on met en place des politiques jeunesse".

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# Thierry Mosbah, DRH de Seris sécurity : "on est pris en étau par des aspects sociétaux"

"L'entreprise ne peut pas tout gérer". "C'est une idée généreuse", concède, pour sa part, Thierry Mosbah, DRH de Seris sécurity, une entreprise de 8.000 salariés qui compte entre 15 et 20% de séniors. "Mais l'entreprise se trouve de nouveau prise en étau par des aspects sociétaux qu'elle ne peut pas ignorer mais dont elle ne peut pas être l'unique gestionnaire", dit-il en précisant que son entreprise fonctionne 24h/24 et 365 jours par an.

Pour ce DRH, "la seule gestion des absences pour congés est un casse tête insupportable, alors si je dois prendre en compte la situation familiale des grands-parents après celle des parents, je ne m'en sors plus", explique-t-il à Europe1.

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# Jean-Christophe Sciberras, DRH du groupe de Solvay : "un vrai besoin auquel on cherche à répondre"

Le "flop" du congé grand-parental. Lui aussi DRH d'une grande entreprise - le groupe Solvay (ex-Rhodia) qui compte 5.000 salariés en France, dont un tiers de plus de 50 ans - Jean-Christophe Sciberras est, lui, beaucoup plus ouvert à la prise en compte au niveau RH de "la grand-parentalité active". Il faut dire qu'en 2009, son entreprise, qui à l'époque n'avait pas encore été rachetée par Solvay, a été pionnière en proposant à ses salariés ayant des petits-enfants "un congé grand-parental".

Résultat de cette initiative unique en France qui, à l'époque, a fait grand bruit ? "Aucun de nos salariés n'a souscrit de congé grand-parental", reconnait-il. "C'est un vrai besoin et une bonne idée, mais on n'a pas bien calibré la réponse", dit celui qui est aussi président de l'Association nationale des DRH.

"On a été trop prudents". "On a posé trop de conditions et on a peut-être été trop prudent du coté de l'entreprise ", juge t-il avec le recul, cinq ans après, et alors que l'accord, repensé, est entrain d'être renouvelé et est en discussion avec les syndicats.

"Un congé grand-parental avec trop de freins". Ce qui a bloqué avec ce congé grand-parental si séduisant sur le papier ? Son manque d'attractivité : "on s'est rendu compte que les salariés séniors voulaient bien réduire leur temps de travail, mais pas leur rémunération alors que ce sont souvent là les années les mieux payées de leur carrière". Or, l'entreprise proposait bien du temps partiel à ses salariés séniors… mais avec un abattement de leur rémunération.

Autre frein : "en contrepartie du temps partiel, on demandait à nos salariés de travailler plus longtemps, à temps partiel, au-delà de l'âge de la retraite". Une condition qui en a sans doute refroidi plus d'un.

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Le congé grand-parental et les places dans la crèche d'entreprise pour les petits-enfants, une attente des salariés ? Pour François Fatoux, délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises, cela reste à prouver : "la plupart des salariés sont moins en demande de nouveaux droits que d'un management d'écoute et de bienveillance", analyse-t-il. Selon lui, les demandes de congés "spécifiques" interviennent précisément lorsque cette écoute fait défaut.

La France n'est, en tout cas, pas le seul pays à s'intéresser au congé grand-parental. En Allemagne, la ministre de la famille a ouvert le débat en 2012.