Claude Guéant et l'imbroglio des primes

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L'ex-ministre peine à expliquer l'origine de fonds dont les enquêteurs ont retrouvé la trace.

PRIMES DE CABINET. Claude Guéant est plongé dans la tourmente de l'enquête sur un éventuel financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. L'ex-ministre de l'Intérieur n'en finit plus de s'expliquer depuis lundi et les révélations du Canard Enchainé sur les résultats d'une perquisition menée à son domicile en février dernier. Outre 500.000 euros virés sur son compte depuis l'étranger, qui correspondraient au produit de la vente de tableaux de maître, le journal révèle que les enquêteurs "ont trouvé trace de nombreux et conséquents paiements de factures en liquide". Des achats d'appareils ménagers pour un montant compris entre 20 et 25.000 euros, acquis, explique l'ex-ministre, grâce à un pécule constitué avec des primes en espèce touchées "jusqu'en 2006", lors des ses passages au ministère de l'Intérieur. Problème : dans le détail, ça ne colle pas.

Une première explication… Mardi,  Claude Guéant évoque d'abord de "petites sommes". Ce sont des "primes de cabinet dont j'avais bénéficié au ministère de l'Intérieur quand j'y officiais", a-t-il détaillé évoquant ces différents passages dans des cabinets ministériels à Beauvau de 2002 à 2004 puis de 2005 à 2007. Des primes qui "n'étaient pas déclarées, de toute éternité", a-t-il précisé sur BFMTV .

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… très rapidement mise en doute. Problème, très rapidement cette affirmation est sérieusement mise en doute par Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur sous Lionel Jospin jusqu'en 2002.  "Je suis catégorique, le système des primes en espèce a cessé fin 2001, début 2002", a affirmé l'actuel maire du 18e arrondissement de Paris au micro d'Europe 1 mardi. "En mai 2002, il n'y avait plus de primes en espèces distribuées aux collaborateurs des cabinets", a-t-il encore précisé en s'interrogeant sur la possibilité que cette pratique ait pu être rétablie par la suite, sous le second mandat de Jacques Chirac. "Soit c'est revenu, c'est une des hypothèses, soit il s'agit de fonds destinés à autre chose et qui étaient rapatriés au cabinet", estimait-il encore, évoquant les fonds spéciaux destinés notamment au renseignement et à la rémunération des informateurs.

Roselyne Bachelot : "soit c'est un menteur, soit c'est un voleur" :

Un éventuel retour des primes rejeté avec virulence par Roselyne Bachelot, ministre de l'Environnement jusqu'en 2004, sous cette même majorité. "C'est absolument impossible d'avoir touché des primes de cabinet à partir de 2002", a-t-elle affirmé sur Direct 8 mardi.  "Si, quand il était chef de cabinet de Nicolas Sarkozy de 2002 à 2004, Claude Guéant a touché des primes de cabinet, soit il ment, soit il y avait peut-être au ministère de l'intérieur de l'argent qui circulait, parce qu'il faut rémunérer un certain nombre d'indicateurs, d'informateurs, mais il n'avait pas à mettre cet argent dans sa poche", a lancé l'ancienne ministre, résumant sa pensée en ces termes : "soit c'est un menteur, soit c'est un voleur".

Des primes jusqu'en 2006 ? Mardi toujours, Claude Guéant a répondu à ces accusations, une nouvelle fois sur Europe 1, puis au JT de  France 2. "Le ministère de l’Intérieur avait une situation spécifique avec un régime indemnitaire qui valait non seulement pour les membres du cabinet du ministre, mais aussi pour plusieurs milliers de fonctionnaires", assurait-il. "Quand vous avez plusieurs milliers de fonctionnaires qui bénéficient de ce système, vous ne le changez pas du jour au lendemain", a-t-il plaidé, précisant qu'avec Nicolas Sarkozy comme ministre, "nous nous sommes efforcés bien sûr et nous avons réussi, en 2006, à mettre un terme à ce dispositif".

CLAUDE GUEANT

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Nouveau problème : selon un ancien membre de cabinet de Dominique de Villepin, de passage place Beauvau entre 2004 et 2005, dans un témoignage livré au Monde.fr, "il n'y avait aucun système organisé, officiel ou officieux, de versement de telles primes en liquide aux collaborateurs du cabinet". Devenu cadre dans le privé, selon le site du quotidien, l'homme assure ne jamais avoir eu vent de telles pratiques dans l'équipe précédente. "Notre équipe Villepin a intégré, au moins pendant quelques mois, plusieurs collaborateurs du précédent cabinet Sarkozy. Je n'ai pas le souvenir qu'ils se soient plaints de la suppression de leur prime en liquide, ce qui me laisse supposer qu'ils n'en avaient pas non plus". Une information confirmée à Europe 1 par un ancien membre d'un des trois cabinets du ministère entre 2002 et 2006, assurant que ces indemnités n'ont jamais existé.

Les syndicats montent au créneau. Après les anciens ministres et membres de cabinet, ce sont les syndicats qui montent désormais au créneau. Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a qualifié mercredi la défense de Claude Guéant de propos "insultants" parlant d'un "gros mensonge" qui "salit les fonctionnaires". Et Il en va de même pour le syndicat UNSA-Police. "On ne peut pas laisser insinuer ce genre de choses.  Je pense que les policiers n'ont pas besoin de ça dans la période que nous vivons actuellement", a réagi son secrétaire national, Christophe Crépin, au micro d'Europe 1 mercredi. "Avant 2002, cela pouvait exister. Mais après 2002, il y a une loi qui a interdit ce genre de choses", a-t-il assuré. "Aujourd'hui, il y a des primes, certes. Mais elles sont budgétisées et virées directement sur les salaires des fonctionnaires qui le méritent", a précisé le syndicaliste, avant d'ajouter : "les fonctionnaires ne touchent plus d'argent liquide. Il n'y a pas d'argent en liquide qui circule au ministère de l'Intérieur et tout l'argent y est tracé".

Alors d'où vient l'argent ? Selon ses dires, Claude Guéant a commencé à toucher des primes de cabinet en espèces dès 1977 et son entrée au cabinet du ministre de l'Intérieur Christian Bonnet, et ce jusqu'en 1981. Donc avant 2002. Il a ensuite exercé nombre de fonctions liées à Beauvau, de préfet  à directeur général de la police nationale (DGPN).  A-t-il pu bénéficier, tout au long de sa carrière, de versements liés initialement aux opérations de renseignement et à la rémunération des informateurs ? Une chose est sûre, la justice s'attache désormais à remonter l'origine des fonds troubles de Claude Guéant.