Affaire Clearstream, on refait le film

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Fabienne Cosnay , modifié à
Vous n’avez toujours rien compris à Cleartream ? Séance de rattrapage avec Europe1.fr

Au premier abord, on en convient : la complexité de l’affaire Clearstream fait un peu peur avec ses faux listings, sa chambre de compensation internationale, ses entremêlements, ses nombreux protagonistes et le rôle joué par chacun. Pourtant, derrière le procès politico-financier, on trouve une affaire digne des meilleures fictions. Europe1.fr démêle pour vous les nœuds de l’intrigue.

Le pitch

A l’origine, l’affaire Clearstream concerne des malversations supposées au sein de l’établissement bancaire luxembourgeois. Dès 2004, elle devient politique avec la révélation de l'existence d'une fausse liste de comptes bancaires de personnalités. Parmi elles, Nicolas Sarkozy qui accuse Dominique de Villepin d’avoir voulu le discréditer, en vue de la présidentielle de 2007.

Les scènes du film

Acte I, on se passe les listings. L’affaire démarre en 2001 quand Florian Bourges, stagiaire auditeur chez Clearstream envoie par email les fichiers Clearstream au journaliste Denis Robert et affirme pouvoir démontrer des opérations financières illégales au sein de l’établissement luxembourgeois. Les listings atterrissent ensuite dans les mains d’Imad Lahoud, informaticien chez EADS, par l’intermédiaire du journaliste Denis Robert. En novembre 2003, Jean-Louis Gergorin, vice-président d’EADS et patron d’Imad Lahoud, communique les fichiers au général Philippe Rondot. Le 9 janvier 2004, les deux hommes se retrouvent au quai d'Orsay, dans le bureau de Dominique de Villepin, pour décider des suites de l’affaire.

Acte II, l’entrée en scène du corbeau. En 2004, les listings bancaires sont envoyés de manière anonyme au juge Renaud Van Ruymbeke, alors chargé d’enquêter sur la vente de frégates à Taïwan. Le nom de Nicolas Sarkozy y figure sous la forme patronymique Stéphane Bocsa et Paul de Nagy. Le juge Van Ruymbeke enquête, avant de réaliser qu'il s'agit d'une manipulation.

Acte III, la justice enquête. Une information judiciaire pour "dénonciation calomnieuse" est ouverte. Les langues commencent à se délier. Le général Rondot met en cause Dominique de Villepin et Jean-Louis Gergorin avoue être "le corbeau" des missives envoyées au juge. Dominique de Villepin, Jean-Louis Gergorin, Imad Lahoud, Denis Robert, et Florian Bourges sont mises en examen et renvoyées en correctionnelle.

Des rebondissements

Le film aurait pu se finir le 28 janvier, jour où le tribunal a rendu son jugement. Dominique de Villepin est relaxé et prêt à signer la paix avec Nicolas Sarkozy. Jean-Louis Gergorin et Imad Lahoud, sont eux, condamnés respectivement à 3 ans de prison dont 15 mois et 18 mois ferme, notamment pour complicité de dénonciation calomnieuse. Mais dès le lendemain, le procureur Jean-Louis Marin annonce un remake du procès Clearstream et fait appel de la relaxe de l’ancien Premier ministre. Jean-Louis Gergorin et Imad Lahoud veulent, eux aussi, rejouer leurs scènes et font appel de leur condamnation.

Un casting de rêve

Dominique de Villepin et ses déclarations enflammées, le mathématicien Imad Lahoud, dépeint comme "un menteur invétéré" et surnommé "l'homme aux mille versions", l’ancien vice-président d’EADS Jean-Louis Gergorin, considéré par le tribunal comme le "cerveau". Les trois protagonistes jugés en appel à partir de lundi sont des personnages complexes, tour à tour séducteurs ou manipulateurs.

Des phrases cultes

A travers l’affaire Clearstream, les deux rivaux Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin se sont livrés une guerre des mots d’une violence inouïe. C’est l’actuel président qui a lancé les hostilités. "Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un crochet de boucher", aurait confié Nicolas Sarkozy. Quelques mois plus tard, le président laisse trahir sa pensée, n’hésitant pas à violer la présomption d'innocence. "Au bout de deux ans d'enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel", déclare t-il, lors d’une intervention télévisée, le 24 septembre 2010.

Devant le tribunal correctionnel, au premier jour de son procès, Dominique de Villepin se transforme en acteur de tragédie grecque. "Je suis ici par la volonté d'un homme. Je suis ici par l'acharnement d'un homme, Nicolas Sarkozy, qui est aussi président de la République française. J'en sortirai libre et blanchi au nom du peuple français, martèle t-il, à la sortie de la salle d’audience. Le jour de sa relaxe, le 28 janvier 2010, l’ancien Premier ministre tend la main à son frère ennemi. "Je n'ai aucune rancoeur, aucune rancune. Je veux tourner la page", assure t-il. La paix des braves aura été de courte durée. Dès le lendemain, l’ancien Premier ministre apprend l’appel du parquet et dénonce "l'acharnement du président dans sa haine". Depuis, Nicolas Sarkozy a renoncé à se constituer partie civile en appel. Les deux hommes se sont revus. Le début de la trêve ?

Et le premier rôle est attribué à…

Pour ce remake, la cour d’appel de Paris devra répondre à une question principale. Qui a ordonné l'ajout des noms de personnalités sur la liste Clearstream ? Dominique de Villepin ou Jean-Louis Gergorin ? En première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait jugé que l’ancien vice-président d’EADS était le cerveau de la conspiration. Quant à Emile Lahoud, la difficulté sera de déterminer s'il est un génial manipulateur ou si, comme il l'affirme, il n’était qu’une petite main au service de Jean-Louis Gergorin.