silence chut secret 2:26
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Romain David , modifié à
Sur Europe 1, la psychologue clinicienne Yvonne Poncet-Bonissol évoque le poids des secrets de famille. Un non-dit ou un mensonge proféré des générations plus tôt peut-être somatisé par les générations suivantes, parfois de manière brutale, à travers certains mécanismes psychologiques.

Les secrets de famille, que nous en soyons les gardiens ou les prisonniers, peuvent avoir un impact très lourd sur notre quotidien. Mal être, addictions, douleurs inexpliquées ou même surpoids sont parfois la conséquence de ces non-dits, de ces silences dont on ignore parfois l'origine. "Le secret de famille est produit par la honte et la culpabilité. Il se veut protecteur pour les descendants, mais parfois il produit l’effet  inverse, c’est-à-dire qu’il a des conséquences toxiques sur notre personnalité et notre être", explique la psychologue Yvonne Poncet-Bonissol.

Invitée de Sans Rendez-vous, l’émission santé d’Europe 1, cette clinicienne, auteur de Secret de familles, ces silences qui nous gâchent la vie aux éditions Larousse, explique comment un traumatisme subi par une famille et soigneusement étouffé peut être amené à rejaillir des décennies plus tard sur les générations suivantes.

Trois générations pour construire un secret

"Un secret de famille, c’est une vérité non dite parce que quelque chose n’a pas pu se montrer, se représenter", explique Yvonne Poncet-Bonissol. Il faut trois générations pour que se mette en place un secret de famille. "La première génération est celle qui vit le traumatisme, qui refuse d’en parler et qui cherche absolument à le cacher pour maintenir une belle façade familiale, et le mythe de la famille idéale", détaille notre spécialiste.

"La deuxième génération sait vaguement qu’il s’est passé quelque chose, sans vraiment savoir ce dont il s’agit. Elle n’a pas les mots pour en parler. Elle déborde d’imagination à ce sujet, mais peut encore passer à autre chose. Et c’est à la troisième génération que le secret devient toxique", poursuit Yvonne Poncet-Bonissol. "À ce stade, le secret ne peut plus être pensé puisque l’on en ignore l’existence, et pourtant il a des conséquences : angoisse, prise de poids, maladies physiques, dépression…  Aussi, bien souvent, quand un enfant consulte, on a tendance à d’abord aller voir du côté des grands-parents", assure-t-elle. 

Différents types de secrets

Notre psychologue identifie cinq types de secrets susceptibles d’empoisonner une histoire familiale, classés selon ce qu’un individu est le plus enclin à vouloir cacher à ses descendants :

- Le premier type de secrets concerne généralement les divorces, l’infidélité ou l’abandon d’un enfant. Il est intimement lié à l’identité, à l’histoire de nos origines.

- Le second, c’est l’inceste et la violence intrafamiliale.

- Le troisième type de secrets touche "au mythe social", selon la formule D’Yvonne Poncet-Bonissol. Il concerne généralement un changement de standing, une faillite ou des dettes.

- Le quatrième type de secrets, ce sont les conduites déviantes d’un parent et leurs conséquences, par exemple un délit qui aurait abouti à un séjour en prison.

- Enfin, "le cinquième type de secrets, c’est celui de la normalité, et qui touche à un comportement maladif", ajoute Yvonne Poncet-Bonissol. C’est-à-dire l’alcoolisme, la toxicomanie, la dépression, voire un suicide.

Le secret agit comme "un ruisseau souterrain"

"Tout le monde n’a pas la même appréhension du secret. Il faut être sensible, être une éponge", relève Yvonne Poncet-Bonissol. Ainsi, la vague intuition d’un trou, d’une anomalie ou d’un chapitre biaisé au sein du roman familial peut prendre chez certains des proportions considérables, générer des formes de malaise, des idées noires, des cauchemars récurrents, quand d’autres ne s’en rendront même pas compte. "Les enfants, qui sont d’une grande sensibilité, sont souvent à l’affut de ce qui manque. Il ont l’intuition de cela", pointe notre psychologue.

À partir de là, "le secret de famille fonctionne comme un ruisseau souterrain qui peut émerger soudainement". À l’occasion notamment d’un évènement marquant, qui entraîne un changement de vie important, comme une naissance par exemple. Yvonne Poncet-Bonissol cite l’exemple d’une mère qui avait fini par se persuader que son enfant avait été échangé à la naissance, avant finalement de découvrir que son propre père biologique n’était pas celui qu’elle pensait. Dans ce cas, l’intuition du secret de famille a fini par déclencher un mécanisme défensif que la psychologie nomme "projection" : le sujet attribue à un tiers un traumatisme qui le concerne, mais qu’il n’est pas encore capable émotionnellement de gérer.