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Mélanie Gomez et Victor Dhollande-Monnier édité par Romain David , modifié à
ENQUÊTE - Certains médicaments, pourtant fréquemment utilisés, deviennent de plus en plus difficile à trouver, notamment parce que certains intermédiaires entre les laboratoires et les pharmacies préfèrent vendre à des pays étrangers, en dépit de la législation.
ENQUÊTE

Les ruptures de stock de médicaments se multiplient en pharmacie. La semaine dernière, elles concernaient principalement les corticoïdes, mais le phénomène touche aussi des antibiotiques et des vaccins.

Certains patients sont parfois obligés de faire quatre ou cinq pharmacies pour récupérer leur traitement, quand bien même il s’agit de médicaments courants. "Je me bats toute la journée pour essayer de trouver des équivalents disponibles, ou pour essayer d’avoir les médicaments en demandant aux laboratoires s’ils ne peuvent pas libérer une boîte pour une urgence", explique à Europe 1 une employée d’une pharmacie du centre de Paris, chargée des commandes de médicaments. Dans une autre officine de la capitale, sur cinq commandes, trois sont en rupture. Elles concernent notamment de la cortisone, des collyres, des hypotenseurs et des antibiotiques. Un pharmacien avoue même rationner ses stocks : il ouvre les boîtes de médicaments pour délivrer seulement la dose nécessaire, une pratique illégale mais qui lui permet de limiter les effets de cette pénurie.

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Des intermédiaires qui préfèrent vendre les médicaments à l'étranger

Dans 80% des cas, c'est un problème d’argent qui est à l’origine de ce manque de médicaments. En France, ils sont remboursés, et bien remboursés par la Sécurité sociale comparé à d'autres pays. En conséquence, la sécu tire les prix vers le bas, pour avoir à rembourser le moins possible, ce qui n’est pas du goût des industriels ni des intermédiaires qui font le lien entre le laboratoire pharmaceutique et les pharmacies.

Ces grossistes répartiteurs, dont certains, dénommés les "short liners", sont spécialisés sur les médicaments les plus rentables, préfèrent donc vendre à d'autres pays qu'à la France. Parfois, le même médicament est vendu en Italie ou en Allemagne deux à trois fois plus cher que chez nous. Ce genre de pratique reste totalement illégal, car les grossistes répartiteurs sont tenus d'assurer les stocks en France : il s’agit d’une mission de service public qui leur est imposé par la loi. "Il ne constituent pas les stocks qu’ils doivent constituer et ils exportent largement. Nous avons pris des sanctions financières de plusieurs centaines de millions d’euros", assure à Europe 1 Dominique Martin, directeur de l'Agence du médicament, qui explique qu’il s’agit de la principale cause d’absence de produit dans une pharmacie.

Une inflation de la demande mondiale de médicaments

Reste encore, à une moindre échelle, un problème de production. Aujourd'hui, la plupart des usines qui fabriquent les médicaments sont délocalisées à l'étranger, en Asie notamment. Elles travaillent à flux tendus pour satisfaire la demande mondiale qui explose ces dernières années. Il suffit, par exemple, qu'une usine indienne qui fabrique une matière première à destination de plusieurs laboratoires rencontre un problème de production pour que l’ensemble de la chaîne du médicament soit paralysée. C'est ce qui s'est passé en 2018 avec le Sinemet, un traitement anti-parkinson. L'usine située aux États-Unis a dû fermer pour se mettre aux normes, étant la seule au monde, le marché mondial a été impacté pendant de longs mois.

Dans le cas des corticoïdes, qui soignent des maladies aussi courantes que l'asthme ou l'arthrose, le problème ne se situe pas à l'autre bout du monde… mais en France. L'usine qui les fabrique à Lille a rencontré des difficultés en janvier, mais n'a prévenu aucun des laboratoires qu'elle fournit, qui eux-mêmes n’ont donc pas pu alerter les autorités sanitaires. Résultat : la France est en rupture de stock depuis un mois et le retour à la normale n'est pas prévu avant fin juin.

Un plan "anti-rupture de stock" en préparation

Globalement, ces phénomènes de pénurie semblent s’aggraver avec les années. Si on remonte à 2008, seule une cinquantaine de médicaments essentiels étaient signalés soit en tension, soit en rupture de stock. Dix ans plus tard, c'est dix fois plus : 531 médicaments sont signalés comme manquant en France. Les chiffres pour 2019 ne sont pas encore connus. Interrogée par Europe 1, l'Agence du médicament laisse entendre que cette situation va continuer de s'aggraver, sans véritablement savoir quels médicaments vont être concernés demain. Le problème est tel qu'au ministère de la Santé un plan "anti-rupture de stock" est en cours de préparation.