L'hémorragie de généralistes est-elle une crise "inexorable" ?

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Au cours de la période 2007/2016, leurs effectifs ont diminué sans discontinuer, de 8% au total.

L'hémorragie de médecins généralistes continue de s’accentuer : au cours de la période 2007/2016, leurs effectifs ont diminué sans discontinuer, de 8% au total, selon les chiffres publiés jeudi par le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom). Les médecins généralistes sont les "premiers touchés" par les départs en retraite, relève le Cnom. Le nombre de médecin total, si l'on prend en compte les spécialistes, n’a, pour sa part, diminué que de 0,4%. "Les généralistes connaissent une chute inexorable, de manière préoccupante, puisque elle devrait se poursuivre jusqu'en 2025 et pourrait se traduire par la perte d'un médecin généraliste sur quatre durant la période 2007-2025", alerte l'organisme représentant la profession médicale. La crise semble insoluble. Et elle touche toute la France.

Paris et la Nièvre particulièrement touchés. En neuf ans, les effectifs des généralistes ont baissé dans 81 départements, notamment suite à des départs à la retraite non remplacés. Les plus fortement touchés sont Paris et la Nièvre (- 25%), devant l'Yonne et les Yvelines (- 21%). Mais c’est dans les territoires qui, au départ, ont une densité de généralistes faible, comme la région Centre (107,5 pour 100.000 habitants) ou la Bourgogne (113,5 pour 100.000 habitants), que la situation devient vraiment inquiétante.  La moyenne nationale de généralistes est de 132,1 pour 100.000 habitants.

Entre 2007 et 2016, seules la Savoie (+1 %) et la Loire-Atlantique (0 %) n’ont pas enregistré de baisse du nombre de leurs généralistes. La plus forte densité de généralistes se situe en Provence-Alpes-Côte-d'Azur avec 152,6 généralistes pour 100.000 habitants, devant la Corse (143,6) et le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (143,5).

" Les jeunes médecins ne veulent plus s’installer seuls "

Les pouvoirs publics se mobilisent. Les communes confrontées à une pénurie rivalisent d’imagination pour tenter de conserver leurs médecins : mise à disposition de locaux neufs, loyers offerts, primes d’installations etc. L’Etat réfléchit également à mettre en place une prime pour inciter les médecins à rester. La réforme du tarif des consultations aussi pourrait favoriser les généralistes. Mais l’argent n’est pas le seul problème.

"Les médecins ne supportent plus le rythme en zone rurale. Ils travaillent sur des zones étendues, avec beaucoup de patients pour eux tous seuls", raconte à Europe 1 Christophe Chaudun, maire PS de Connerré, dans la Sarthe. La commune de 3.000 habitants (ainsi que les 2 à 3.000 habitants des villages alentours, qui se soignaient à Connerré) a été confrontée aux départs de deux médecins sur trois. Les habitants n’ont tenu qu’avec un seul médecin pendant un an. "Les jeunes médecins ne veulent plus s’installer seuls. La médecine est devenue tellement complexe que les jeunes préfèrent s’installer en groupe (et donc en ville), pour partager leurs savoirs, profiter de l’expérience des anciens.  Sans compter les questions juridiques qui se multiplient face aux nouvelles attentes de patients. Les jeunes médecins préfèrent être encadrés", explique Christophe Chaudun, qui a essuyé de nombreux refus pendant qu’il recrutait.

" Où va travailler mon conjoint ? Est-ce que j’aurai une école "

Les maisons de Santé, la solution ? Face à cela, de plus en plus de communes ouvrent des maisons de santé. Le médecin y est salarié de la mairie, avec une rémunération fixe, basée sur le salaire de la fonction publique hospitalière (le revenu des consultations revenant à la mairie) et un emploi stable. Il y travaille avec d’autres médecins, et peut ainsi partager son savoir. "Aujourd’hui, nous avons un peu moins de mal à attirer des médecins", reconnaît ainsi Christophe Chaudun, dont la commune possède désormais cinq médecins et trois dentistes. Mais toutes les communes n’ont pas forcément les moyens : la mairie de Connerré a dû investir 250.000 euros dans sa maison de Santé, soit 10% de son budget d’investissement global. Et les locaux – une ancienne caserne de pompier – lui avaient été cédés pour un euro symbolique.

"On demande de choisir un métier qu’on ne connaît pas". En outre, les maires auront beau multiplier les efforts, la crise est peut-être plus large qu’ils ne le pensent. "Où va travailler mon conjoint ? Est-ce que j’aurai une école pour mes enfants ? S’ils permettent de libérer des tracas de l’installation, les avantages en nature ne font pas tout. Ce n’est pas parce qu’on donnera 40 000 euros à un médecin désireux de travailler en ville qu’il ira s’installer au fin fond d’un département rural", explique Emilie Frelat, la présidente du Syndicat national de jeunes médecins généralistes (SNJMG). Interrogée par Le Monde, elle en appelle à une réforme plus large de la formation et de l’attractivité du métier. "On demande aujourd’hui aux étudiants de choisir un métier qu’ils ne connaissent pas", déplore-t-elle,  appelant à une réforme pour que tous les étudiants de deuxième cycle effectuent un stage de six mois en dehors de l’hôpital, histoire de goûter au métier.