Les femmes, grandes oubliées de la médecine cardio-vasculaire

Une équipe du SAMU effectue une réanimation sur une patiente en arrêt cardio-respiratoire (France, 2004)
Une équipe du SAMU effectue une réanimation sur une patiente en arrêt cardio-respiratoire (France, 2004) © ALAIN JULIEN / AFP
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Un documentaire diffusé mardi soir sur France 5 rappelle que les hommes et les femmes restent inégaux devant la prise en charge des maladies cardio-vasculaires.

On l'imagine gros fumeur, un peu bedonnant, bon vivant. Dans l'imaginaire collectif, le patient victime d'un infarctus ou de maux cardio-vasculaires est un homme d'âge mûr. 

Un documentaire réalisé par Cécile Morin et diffusé mardi soir sur France 5 souligne cependant une statistique alarmante : si le taux d'hospitalisation pour maladies cardio-vasculaires reste stable chez les hommes, il progresse chaque année chez les femmes de moins de 50 ans. En 2012, une étude publiée dans le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire mettait en évidence une réduction de 7.4 % du nombre global de patients hospitalisés pour infarctus du myocarde. Cependant, si les chercheurs constataient une baisse des taux d'hospitalisation dans toutes les classes d'âge masculines, ils observaient une augmentation significative pour les femmes entre 35 et 54 ans. 

Actuellement, les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité féminine en France. Chaque année, elles tuent 79.000 femmes. C'est huit fois plus que le cancer du sein. 

Moins bien dépistées, soignées plus tardivement, oubliées par la recherche... Les femmes semblent aujourd'hui plus vulnérables que les hommes face aux risques cardio-vasculaires. Une injustice mise en relief par le documentaire réalisé par Cécile Morin, Accident cardiaque : les femmes en première ligne. Europe1.fr a eu la chance de visionner en avant-première cette enquête exclusive faisant intervenir patientes mais aussi professionnels de la santé.

Des prises en charge inégales. Globalement, la mortalité des maladies cardio-vasculaires chez la femme n'a pas connu d'amélioration ces dernières années. Cette stagnation est en partie due à un diagnostic tardif et parfois erroné des symptômes présentés par les femmes. En 2011, une étude parue dans le Journal of the American College of Cardiology soulignait l'importance des mauvaises orientations des patientes admises aux urgences cardiologiques. 

Face à des symptômes tels que la nausée ou la fatigue, les professionnels de la santé ont en effet tendance à écarter la piste des maladies cardio-vasculaires. Nathalie, une des victimes témoignant dans le documentaire, confirme : "J'ai eu mes premiers symptômes à l'âge de 43 ans. J'ai vu plusieurs fois mon médecin, mais je sentais bien que je l'embêtais. Il n'arrêtait pas de me dire que vu mon profil, je n'étais pas concernée par les maladies cardio-vasculaires. J'ai fini par lui dire qu'il devait me prendre pour une hystérique... il n'a pas répondu." 

Pour le professeur Gerard Helft, premier vice-président de la Fédération Française de Cardiologie (FFC), ce diagnostic empreint d'erreurs s'explique en partie par des théories scientifiques autrefois intégrées. "Les médecins ont longtemps pensé, à tort, que les femmes étaient épargnées par les maladies cardio-vasculaires grâce à leurs hormones, qui les protégeaient. Cela explique notamment qu'elles soient les grandes oubliées des campagnes de prévention et qu'elles bénéficient d'une prise en charge tardive. Les symptômes qui auraient dû alerter étaient souvent négligés ou interprétés comme révélateurs d'autres troubles. Cependant, on sait désormais que les femmes souffrent d'altérations cardio-vasculaires au même titre que les hommes, même si ces troubles arrivent plus tardivement."

Une vulnérabilité cardiaque sous-estimée. La vie des femmes est ponctuée par trois périodes intenses sur le plan hormonal : la contraception, la grossesse et la ménopause. Ces modifications hormonales constituent des facteurs de risque cardio-vasculaires dont les hommes sont épargnés. Les impacts de la déstabilisation hormonale sur le cœur sont cependant méconnus des femmes, qui n'ont souvent pas le réflexe de consulter un gynécologue durant ces trois moments. Selon le professeur Claire Mounier-Vehier, cardiologue et présidente de la FFC, "les femmes ne se rendent pas compte qu'elles peuvent mourir d'une maladie cardio-vasculaire." 

A cette triste réalité, une constatation s'ajoute : au cours de ces dernières années, le mode de vie des femmes a changé. Désormais, comme le rappelle le documentaire de Cécile Morin, le stress professionnel, le tabagisme et l'abus d'alcool ne sont plus réservés aux hommes. Il y a quelques années, une étude de l'Inpes (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) révélait que la proportion de fumeuses régulières dans la population était passée de 10 à 22 % entre 1950 et 2010. Une statistique d'autant plus inquiétante que les femmes sont plus vulnérables à une mauvaise hygiène de vie que les hommes en raison de la finesse de leurs artères, se bouchant plus facilement. 

Inclure les femmes dans les essais cliniques, une nécessité. Machiste, l'industrie pharmaceutique ? Une chose est sûre, le nombre de femmes impliquées dans les essais cliniques en cardiologie reste très limité. En général, leur participation demeure en deçà des 20 % en raison d'une idée reçue selon laquelle les tests seraient nocifs pour l'organisme féminin et notamment les fonctions reproductrices. 

Selon Claudine Junien, professeure émérite de génétique médicale intervenant dans le documentaire, "il y a quasiment deux fois plus d'accidents secondaires chez les femmes suivant des traitements cardio-vasculaires que chez les hommes. Cela s'explique par le fait que les médicaments sont en majorité testés sur des sujets masculins." 

Dans un contexte de vieillissement des populations, soigner le cœur des femmes et approfondir les recherches apparaît de plus en plus comme une priorité sanitaire dont le documentaire diffusé mardi soir se fait l'écho.