Dioxyde de titane : pourquoi l'interdiction de cet additif alimentaire soupçonné d'être toxique coince toujours

© JOEL SAGET / AFP
  • Copié
Pauline Jacot, Théo Maneval et Yasmina Kattou, édité par Romain David
Alors même que la loi agriculture et alimentation, votée en septembre, prévoit de bannir de nos aliments cet agent blanchissant soupçonné d'être cancérigène, le ministère de la Consommation n'a pas encore pris les décrets d'application.

Présent dans vos aliments, sous forme de nanoparticules, notamment dans certains gâteaux, bonbons, ou produits chocolatés, le dioxyde de titane, aussi connu sous le nom de E 171, inquiète de plus en plus. Si les députés ont voté à l'automne son interdiction, des mois plus tard, Bercy ne fait toujours pas appliquer la loi. D'où cette tribune, publiée le 24 décembre par Le Monde, et dans laquelle plusieurs associations de consommateurs et de défense de l'environnement demandent au gouvernement d'agir. 

Un ingrédient comparable à l'amiante ? Le dioxyde de titane, qui sert à faire briller ou même blanchir les aliments, pourrait être cancérigène. Les ONG s'appuient notamment sur une étude de l'Institut national de la recherche agronomique faite sur des rats en 2016. Cette recherche montre que certains rongeurs qui mangent du dioxyde de titane régulièrement - dans des proportions équivalentes à ce qu'ingurgite en moyenne quotidiennement un être humain -, peuvent développer des lésions précancéreuses. 

Certains médecins n'hésitent d'ailleurs pas à faire le parallèle avec l'amiante, un phénomène où les nanoparticules sont tellement petites qu'elles s'intègrent aux organes, s'accumulent et, à force, peuvent créer des inflammations qui peuvent elles-mêmes favoriser le développement d'un cancer.

"Rien n'est prouvé chez l'homme", mais... Malgré tout, l'interdiction votée dans le cadre de la loi agriculture et alimentation reste au point mort. Pour que cette loi s'applique, Bercy, qui est également en charge de la consommation, doit prendre un arrêté… qu'il ne prend pas. Et les associations crient au scandale.

"Bercy se réfère à d'autres études publiées au niveau européen et qui, pour l'instant, considèrent qu'il n'y a pas de danger avec les nanoparticules", explicite Patricia Chairopoulos, spécialiste alimentation auprès de l'association 60 millions de consommateurs. "Dans le cas du dioxyde de titane, si rien n'est prouvé chez l'homme, il y a de forts soupçons. On peut aussi adopter ce principe de précaution, et d'autant plus que cet additif n'est pas indispensable. Il sert seulement à faire joli", pointe-t-elle. "Ce qui nous ennuie d’autant plus, c'est que le dioxyde de titane est utilisé dans des aliments comme les bonbons et les gâteaux, qui sont à destination des enfants donc d'organismes plus fragiles. Il ne faudrait peut-être pas attendre que des preuves soient montrées chez l'homme pour agir…"

" C'est maintenant au consommateur de faire attention "

Une décision européenne. "Comme on est dans un marché unique, on ne va pas décider tout seul d'interdire le dioxyde de titane", se défend le ministère. En clair, une interdiction pourrait poser des problèmes aux frontières. Face à l'argument communautaire, les partisans de l'interdiction rappellent que le France a été pionnière sur le paquet de cigarettes neutre, ce qui n'a jamais posé de problèmes au niveau européen. Bercy a néanmoins réuni les industriels en 2017 pour leur demander de réduire l'utilisation de nanoparticules. "C'est maintenant au consommateur de faire attention", balaye le ministère. Mais encore faut-il que ceux-ci sachent décrypter les étiquettes des produits d'alimentation, et adoptent le réflexe de traquer le fameux "E 171".

Les industriels divisés. Du côté des fabricants, de grosses entreprises comme Haribo, Carambar, Lutti, Mars, et des artisans comme l'association des chocolatiers de France, ont arrêté ou prévoient d'arrêter d'utiliser du dioxyde de titane. Certaines grandes surfaces, telles qu'Auchan, se sont aussi engagées à retirer ces produits des rayons. Et puis il y a ceux qui attendent une position claire et précise. L'ANIA, l'association nationale des industries alimentaires, ne veut pas dévoiler leur identité et les défend en brandissant notamment le flou législatif du moment : "On ne peut pas changer tous les matins nos recettes parce que telle ou telle étude pointe du doigt tel ingrédient".