Le personnage de Norman Bates, dans "Psychose" d'Alfred Hitchcock, a fixé pour des décennies la manière dont la schizophrénie était représentée au cinéma. 2:37
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Romain David , modifié à
Invité vendredi de "Sans Rendez-vous" sur Europe 1, le psychiatre Christophe Debien décortique le traitement des maladies mentales au cinéma, souvent largement caricaturées pour le bonheur des spectateurs... et au grand désespoir des professionnels de santé.
DÉCRYPTAGE

Depuis le 18 septembre, Ratched, la nouvelle série de Netflix, vous invite à plonger dans le passé de Mildred Ratched, la diabolique infirmière en chef de Vol au-dessus d’un nid de coucou, le film culte de Milos Foreman sorti en 1976. Sans doute l’un des rôles de "méchant" les plus glaçants du cinéma. Pour l’occasion, le psychiatre Christophe Debien, co-animateur de la chaîne Youtube PsyLab et auteur de Nos Héros sont malades chez humenSciences, sur la maladie mentale au cinéma, était l’invité de Sans Rendez-vous, l’émission santé d’Europe 1.

"Pour faire de bonnes histoires il faut des drames, et l’une des utilisations de la psychiatrie par les scénaristes permet d’introduire dans un film du drame ou des mystères", observe-t-il. Quitte à tordre la réalité médicale… De l’asile transformé en pénitencier au schizophrène qui change de personnalité comme de chaussettes, Christophe Debien décortique pour nous cinq clichés sur la psychiatrie largement nourris par le grand écran.

L’asile-prison

Pour Christophe Debien, l’association au cinéma de l’asile et de la prison date précisément de Vol au-dessus d’un nid de coucou. "Même si ce film à été tourné dans un véritable asile", ses murs blancs, ses cellules grillagées et sa cours entourée de barbelés évoquent inévitablement un centre pénitentiaire. "Et ce cliché a eu la vie dure", relève notre psychiatre. Puisque pratiquement vingt ans plus tard, la scène de l’asile dans L’Armée des douze singes sera tournée… dans une prison.

La thérapie punitive : les électrochocs

La scène des électrochocs est devenue un incontournable des films ou séries qui prennent place dans des asiles, souvent associée à un moment critique de l’intrigue. Là encore, on la retrouve dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, ou encore dans Requiem for a Dream. Et à chaque fois, la thérapie vire à la séance de torture, laissant souvent le patient dans un état catatonique.

"La sismothérapie sauve des vies. Elle permet de soigner des maladies très graves", tient à rappeler Christophe Debien. "On appelle ça des électrochocs parce que l’on met un courant de faible intensité au niveau des deux tempes, et on le fait passer pendant quelques millisecondes pour arriver à une crise d’épilepsie et resynchroniser les neurones", explique-t-il. "Il y a aussi une libération de neuromédiateurs à ce moment-là qui ont une action beaucoup plus rapide qu’un antidépresseur sur la mélancolie, qui est la forme la plus grave de la dépression."

Notre spécialiste note que dans la série Homeland, le personnage incarné par Claire Danes, souffrant de bipolarité, salue les effets positifs de l’électroconvulsivothérapie sur sa maladie.

Celui qui tue est forcément fou

"Au cinéma, le tueur est généralement fou ou possédé", observe Christophe Debien. Mais selon lui, seuls 3% des "crimes de sang" sont commis par des malades mentaux. "Cette association entre le tueur et la maladie mentale permet à l’être humain de se rassurer : c’est l’autre, celui que je ne reconnais pas, qui est bizarre, qui tue", analyse-t-il. "C’est toujours plus facile que d'imaginer que l’on est incapable, soi-même, avec ses propres pulsions, de tuer quelqu’un."

La schizophrénie peinte comme un dédoublement de personnalité

Au cinéma, la schizophrénie est souvent associée à un dédoublement de la personnalité. Et pourtant, il ne s’agit pas d’un symptôme de ce trouble mental, aussi sévère soit-il. Alors à qui doit-on ce cliché, largement utilisé sur grand écran, de Fight Club à Split, en passant par Identity ? "Au Psychose d’Hitchcock" , répond Christophe Debien.

"Hitchcock avait été échaudé par le tournage de La Maison du docteur Edwardes, où il voulait filmer l’inconscient", poursuit notre spécialiste. "Pour cela, il avait fait appel à Salvador Dali. Il se sont tellement disputés que Hitchcock a changé sa manière de montrer le psychisme et a eu l’idée sur Psychose d’un dédoublement de personnalité." Une idée tellement cinégénique et susceptible de nourrir des retournements de situation qu’elle n’a pas manqué d’être abondamment copiée.

Aux yeux de Christophe Debien, Un Homme d’exception de Ron Howard, inspiré par la vie du mathématicien John Forbes Nash, est l’un des rares films à traiter avec réalisme la schizophrénie, notamment la difficulté de poser un diagnostic et de la traiter.

L’amour capable de venir à bout de la dépression

Un héros profondément dépressif, mais finalement sauvé par l’amour d’un proche… voila le genre de happy end dont Christophe Debien ne veut pas entendre parler. "Médicalement, ça n’est absolument pas pertinent. L’amour n’a jamais guéri de quoi que ce soit, en tout cas beaucoup moins bien que les médicaments", observe-il, même si l'attention de l'entourage reste, évidemment, essentiel dans le processus de guérison.

Toutefois, il s'agit là "d'un cliché qui nuit aussi terriblement à l’image des femmes au cinéma", insiste ce médecin. "La plupart des thérapeutes à l’écran sont des femmes qui guérissent leur patient en couchant avec. Cela renforce à la fois les clichés sur les femmes et sur la psychiatrie", déplore-t-il.