Retraites : la réforme pénalise-t-elle les femmes ?

Depuis la publication de l'étude d'impact jointe au projet de loi de réforme des retraites, le gouvernement peine à se sortir les pieds du tapis.
Depuis la publication de l'étude d'impact jointe au projet de loi de réforme des retraites, le gouvernement peine à se sortir les pieds du tapis. © VALENTIN BELLEVILLE / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
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Laura Laplaud , modifié à
Depuis la publication de l'étude d'impact jointe au projet de loi de réforme des retraites, le gouvernement peine à se sortir les pieds du tapis. Les femmes sont-elles vraiment plus pénalisées que les hommes par la réforme comme le dénonce l'opposition ?

C’est une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites qui s’annonce ce mardi. Ce projet de loi relève l’âge légal de départ de 62 à 64 ans et prévoit une augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour partir à taux plein de 42 à 43 annuités. "Injuste", "injustifiée", "totalement politique", les critiques fusent contre cette réforme que le gouvernement promet pourtant "indispensable" pour sauver le système de retraite. Cette réforme a été d’autant plus attaquée par ses opposants qu’elle a été présentée par l’exécutif comme "juste" et porteuse de "progrès social" alors que des disparités subsisteront notamment entre les femmes et les hommes.

Les femmes et les hommes ne partent pas au même âge

"C’est important de le dire : jusqu’à présent les femmes partaient plus tard que les hommes à la retraite, à l’avenir, elles partiront plus tôt", affirmait Élisabeth Borne. Le gouvernement entend s’appuyer sur l’étude d’impact jointe au projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif. Mais ce document révèle que le report de l’âge de départ à la retraite sera plus marqué pour les femmes que pour les hommes.

En 2020, l’âge conjoncturel de départ à la retraite est de 62 ans et 4 mois pour les retraités résidant en France. Les femmes partent en moyenne 7 mois après les hommes : 62 ans et 7 mois pour les femmes et 62 ans pour les hommes.

"Un effort supplémentaire" demandé aux femmes

"Cette réforme va demander un effort supplémentaire aux femmes qu’aux hommes en général", estime Rachel Silvera, maîtresse de conférence en économie et spécialiste des inégalités de genre sur le marché du travail. D’après l’étude d’impact, les femmes nées en 1972 verront leur âge moyen de départ augmenter de neuf mois en moyenne contre cinq pour les hommes de la même génération. Mais ce sont les femmes nées à partir de 1980 qui seront le plus touchées. Les concernant, l’âge de départ à la retraite sera de huit mois supplémentaires contre quatre pour les hommes.

Le décalage de l’âge légal de départ efface le bénéfice des trimestres validés pour la maternité

Pourquoi les femmes partent-elles plus tard à la retraite ? D’après Rachel Silvera, cela est dû aux comportements d’activité des femmes. "À l’arrivée d’un enfant, une femme sur deux va soit arrêter soit réduire son activité professionnelle alors que ce n’est même pas le cas d’un homme sur neuf."

Lors de la naissance d’un enfant, huit trimestres sont attribués. Quatre le sont au titre de la maternité ou de l’adoption. Quatre au titre de l’éducation de l’enfant, qui peuvent, depuis 2010, être répartis entre les deux parents. Ces trimestres comptent pour la durée de cotisation et non le report de l’âge de départ. Le décalage de l’âge légal de départ efface donc le bénéfice des trimestres validés pour la maternité comme l’explique la maîtresse de conférence en économie Rachel Silvera : "Ces femmes qui pouvaient enfin partir avec une carrière complète, grâce à ces trimestres, plus de 100.000 par an, vont devoir attendre 64 ans. Les droits familiaux aujourd’hui sont mis à mal."

"Beaucoup de mots pour beaucoup de maux pour les femmes"

Concernant la période de congé parental, le gouvernement promet qu’elle sera prise en compte dans le dispositif carrières longues. Dans les faits, elle le fera dans la limite de quatre trimestres et ne concernera que les femmes ayant commencé à travailler avant 20 ans. Soit 2.000 ou 3.000 femmes chaque année, selon l’étude d’impact du gouvernement qui donne deux chiffres différents. "Une goutte d’eau" juge Rachel Silvera. "Ce dispositif correspond à une très large majorité d’hommes. On parle de 2.000 femmes sur 400.000 femmes partant chaque année." Au final, cette réforme représente "beaucoup de mots pour beaucoup de maux pour les femmes", ajoute-t-elle.

Les femmes sont aussi souvent celles qui interrompent leur activité professionnelle pour aider un proche. Selon la Haute autorité de santé, les femmes sont majoritaires parmi les aidants à 57%. Le projet de loi du gouvernement entend créer une assurance vieillesse pour les aidants afin que les trimestres consacrés à aider une personne soient considérés comme des trimestres validés.

La décote restera à 67 ans

La réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ne prévoit pas de toucher à l'âge d'annulation de la décote fixé à 67 ans. Une mesure "particulièrement favorable aux femmes qui sont deux fois plus nombreuses à devoir attendre cet âge en raison d’interruption de carrière", indique le gouvernement dans son Rapport sur les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites. Or, une femme qui travaille jusqu’à ses 67 ans pour prendre sa retraite "à taux plein" est une femme qui verra le montant de sa retraite touchée puisqu’elle n’aura pas réuni le nombre de trimestres suffisant. "J’ai bondi de ma chaise", réagit Rachel Silvera. "Cette décote est parmi les mesures les plus injustes envers les femmes. Pourquoi ? Parce que les femmes ont des carrières incomplètes, elles subissent un fort écart de niveau de pension : il est de 40% en ce qui concerne les droits directs."

Une pension minimale à 1.200 euros pour tous et en premier, pour les femmes

La réforme des retraites voulue par le gouvernement propose la revalorisation de la pension minimale à hauteur de 1.200 euros brut par mois, soit 85% du Smic, en cas de carrière complète, pour un salarié du privé en prenant en compte sa retraite complémentaire. Une revalorisation qui concerna "très peu de monde" selon Rachel Silvera, en raison de ces deux critères et qui sera "de l’ordre de 100 euros au maximum" pour les femmes concernées. Et une mesure qui ne réduira pas grandement les écarts de pension entre les femmes et les hommes s’élevant aujourd’hui à 40%. "S’il y a des inégalités à la retraite, ce n'est pas l'effet des retraites et des réformes. C'est d'abord parce qu'il y a des inégalités sur le marché du travail et dans la vie", tient à souligner la spécialiste des inégalités de genre sur le marché du travail.

En France, près de deux millions de personnes touchent une retraite inférieure à 1.000 euros brut par mois. Parmi elles, beaucoup de femmes, des agriculteurs, des indépendants ou des artisans. Selon le gouvernement, cette revalorisation concernera près de 2 millions de retraités actuels dont 60% de femmes. Elles verront ainsi leurs pensions revaloriser de 6,7% en moyenne (760 euros par an) contre 5,1% (540 euros) pour les hommes.

Les critères de pénibilité n'évolueront pas

Les critères de pénibilité n’évolueront pas dans l’actuelle réforme des retraites, ce que regrette Rachel Silvera puisque ces critères ne prennent pas en compte la pénibilité des métiers les plus féminisées. "Il y a une invisibilité complète. Je pense aux contraintes physiques mais aussi émotionnelles qui sont invisibilisées. Il y a toujours un angle mort : la place des femmes là-dedans."

Des critiques sur les anciennes réformes des retraites ont déjà été formulées sur le sujet des inégalités entre les femmes et les hommes, rappelle Rachel Silvera. "Quand on est passé des 10 aux 25 meilleures années dans le calcul des pensions de retraite du privé, quand l’âge d’annulation de la décote a été introduite et depuis 2010 les femmes ne peuvent bénéficier que de six trimestres au titre de la maternité…", énumère-t-elle avant de conclure. "Chaque réforme a eu son lot de mesures qui a eu une incidence indirecte négative sur les femmes."