Primaire : à gauche toute !

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Les quatre principaux candidats de la primaire de la Belle Alliance Populaire bondissent sur des sujets très marqués à gauche. © AFP
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De Hamon à Valls, les candidats à la primaire se positionnent très à gauche. Mais tous ne le font pas pour les mêmes raisons. 

La photo est belle pour celui qui espère bien faire une Fillon à la primaire de la gauche. Benoît Hamon a déjeuné lundi avec Yanis Varoufakis. Auparavant, l'ancien ministre des Finances grec devenu une figure du rejet de la politique austéritaire européenne s'était affiché avec des personnalités comme Arnaud Montebourg ou Jean-Luc Mélenchon, qui l'avait rencontré à l'été 2015.

Occupé à discuter travail et Union européenne, Benoît Hamon n'a pu se rendre à Dax, où se tenait le procès de Jon Palais, militant altermondialiste poursuivi pour avoir volé des chaises dans une agence de la BNP afin de dénoncer la fraude fiscale. Mais l'ancien ministre de l'Éducation a bien veillé à envoyer un représentant pour marquer le coup. Ce faisant, il continue d'imprimer sa marque sur cette primaire en se positionnant clairement à la gauche de la gauche. Et entraîne les autres candidats dans son sillage.

Le virage de Valls. À l'approche du scrutin, certains semblent en effet donner un coup de volant à gauche. Pour Manuel Valls, c'est même un demi-tour radical et savamment calculé sur certains sujets. Partisan d'une ligne social-libérale, l'ancien Premier ministre tient, depuis plusieurs jours, un discours qu'on ne lui connaissait pas. Exit les "gauches irréconciliables", le voilà homme du rassemblement. Fini le chef du gouvernement droit dans ses bottes qui utilise l'article 49.3 sur la loi Macron puis la loi El Khomri. "On m'a imposé le 49.3", affirme désormais celui qui veut limiter son emploi aux textes budgétaires. Le virage à gauche de Manuel Valls, que lui-même met sur le compte de la maturité et de l'expérience après s'être frotté à l'exercice du pouvoir, a de quoi déconcerter.

Vincent Peillon, dont la candidature devait représenter "le cœur de la social-démocratie", selon l'un de ses soutiens, est lui en première ligne sur les sujets sociétaux. "Pour l'instant, on l'entend surtout sur ses convictions anti-islamophobie", note le politologue Thomas Guénolé. Là encore, un éminent marqueur de gauche.

Chacun sa stratégie. Si la primaire semble prête à se jouer très à gauche, tous les candidats ne s'accrochent pas à ces sujets pour la même raison. Certains ne font que réaffirmer des convictions profondes. "Vincent Peillon garde ses positions d'universitaire. Arnaud Montebourg, lui, revient à ses fondamentaux d'une politique économique protectionniste et keynésienne, de fait plus à gauche que la ligne gouvernementale pendant cinq ans", analyse Thomas Guénolé.

Pour Manuel Valls, en revanche, il s'agit d'un calcul. "Ce n'est plus Manuel Valls mais un homme à la recherche du compromis entre ce qu'il est et ce qu'il pense que veulent les électeurs", estime Stéphane Rozès, politologue. Réalisant que ses positions clivantes, mais aussi ses démonstrations d'autorité lorsqu'il était à Matignon ont pu braquer une partie de la gauche, l'ancien Premier ministre s'est décidé à changer. Un "repositionnement tactique", résume Thomas Guénolé.

" Ce n'est plus Manuel Valls mais un homme à la recherche du compromis entre ce qu'il est et ce qu'il pense que veulent les électeurs. "

Préparer l'avenir du PS, pas la présidentielle. Benoît Hamon, lui, s'est immédiatement positionné très à gauche. Avec des propositions comme un temps de travail hebdomadaire de 32 heures, la création d'un revenu universel d'existence ou encore la revalorisation du salaire minimum et des minima sociaux, l'ancien ministre de l'Éducation assume une certaine radicalité. Pour Stéphane Rozès, c'est parce que ce candidat a un autre agenda. Et prépare en réalité déjà la future orientation du Parti socialiste. "Personne ne peut croire une seule seconde que Benoît Hamon sera à l'Élysée", juge le politologue. "En réalité, la partie de la gauche qui croit encore à une victoire en mai se tourne vers Emmanuel Macron. Résultat : la primaire est moins une pré-présidentielle qu'un pré-Congrès."

Un "effet Fillon" ? Thomas Guénolé se montre moins catégorique. "On est à trois surprises électorales colossales : le Brexit, Donald Trump et François Fillon. En sachant en plus que l'électorat français est devenu plus volatile, aucun état-major aujourd'hui ne se dit que c'est plié, dans un sens comme dans l'autre." Le politologue voit en revanche un "effet Fillon" dans cette "gauchisation" de la primaire. "Les candidats se disent que [le vainqueur à droite] a fait une campagne de retour des valeurs fondamentales de la droite qui l'a menée à la victoire" tandis qu'Alain Juppé, qui avait tenté au contraire de brasser des suffrages au centre, a perdu. La tentation est donc grande de jouer la même carte que l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy et de s'adresser au noyau dur des électeurs.

" Une primaire pour la présidentielle, contrairement à un Congrès, ne se gagne pas à gauche. "

Stratégie risquée. Pas sûr, néanmoins, que cette stratégie soit payante pour Valls en particulier, et qui veut in fine accéder à l'Élysée en général. D'abord parce que les retournements de veste, cela se voit. "Manuel Valls a fait une grave erreur avec l'affaire du 49.3. Plutôt que de cultiver son avantage, sa singularité, il s'est banalisé", pointe Stéphane Rozès. Pour Thomas Guénolé, l'ancien Premier ministre a "sous-estimé la mémoire des électeurs. En réalité, il est victime de la puissance de la 'marque' Manuel Valls'".

Surtout, "une primaire pour la présidentielle, contrairement à un Congrès, ne se gagne pas à gauche", tranche Stéphane Rozès, qui prend comme exemple la victoire de François Hollande sur Martine Aubry en 2011. Et tout mouvement prononcé vers un côté ou l'autre de l'échiquier politique compromet le rassemblement qui intervient après une primaire. François Fillon, qui ne bénéficie plus de la dynamique propre à une campagne et voit certains points radicaux de son programme, comme la réforme de la Sécurité sociale, diviser sa propre famille politique, en fait maintenant les frais.