Lobbies : l'Assemblée en quête de transparence

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Les parlementaires tentent depuis plusieurs années d'assurer la transparence du travail des lobbyistes à l'Assemblée. © GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
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Les députés ont formulé cette semaine une proposition pour améliorer la transparence du travail des lobbyistes à l'Assemblée. Beaucoup d'efforts restent à faire.

C'est la proposition n°5, entre celle pour la création d'un partenariat avec l'Education nationale et une autre suggérant de former les journalistes parlementaires. Les entrées et les sorties des lobbyistes qui interviennent à l'Assemblée nationale pourraient être enregistrées, grâce à un badge d'accès, puis les données rendues disponibles en open data sur Internet.

Cette idée, formulée par plusieurs députés réunis en groupe de travail, qui ont ensuite rendu leurs conclusions devant le Bureau de l'Assemblée nationale mercredi, illustre la volonté des élus de se saisir d'un sujet récurrent depuis une dizaine d'années : le travail des lobbyistes au sein du Palais Bourbon, et le manque de transparence autour de leurs activités auprès des parlementaires.

Des lobbies très utiles. De fait, la présence de lobbyistes dans les murs du Parlement n'a rien de nouveau. Elle n'a même rien de problématique en elle-même pour les élus, qui ont besoin d'avis et de conseils en permanence sur des sujets qu'ils ne peuvent tous maîtriser sur le bout des doigts. Les lobbies sont très régulièrement auditionnés en commission ou rencontrés par les parlementaires dans des cadres plus resserrés. "Ils sont un moyen pour le législateur de s'informer sur la manière dont la loi est appliquée et sur les moyens de l'améliorer", rappelle l'Assemblée nationale sur son site. "Leur activité est également utile pour permettre au décideur public de mieux connaître les attentes de la société civile."

"Les rendez-vous avec les lobbyistes sont très utiles", confirme le député LREM Matthieu Orphelin, qui en a rencontré un grand nombre récemment pour travailler, entre autres, à l'élaboration du projet de loi de finances 2018. "Cela vaut mieux que de faire la loi tout seul dans son bureau." L'élu du Maine-et-Loire est bien placé pour le savoir : lui-même a été lobbyiste avant de se présenter aux législatives en juin dernier, lorsqu'il était porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. Un "lobbyiste pour la planète", comme il le répète. Car si le terme "lobby" évoque plus volontiers Monsanto que Greenpeace dans l'imaginaire populaire, ces deux organismes tentent, chacun à leur niveau, de peser sur les actions législatives. Le terme "représentants d'intérêts", moins connoté, est d'ailleurs souvent préféré à celui de "lobbies".

" Les rendez-vous avec les lobbyistes sont très utiles. Cela vaut mieux que de faire la loi tout seul dans son bureau. "

32 fois le même amendement. Là où le bât blesse, c'est lorsque ces représentants d'intérêts agissent dans l'ombre. Et qu'il n'est pas possible d'évaluer ce que l'ONG Transparency International –elle-même considérée comme lobbyiste d'ailleurs- appelle "l'empreinte normative", c'est-à-dire l'impact laissé par les lobbies sur le texte de loi final. Certains fournissent des amendements déjà entièrement rédigés. Ce qui occasionne des scènes cocasses, comme par exemple lorsqu'on a retrouvé 32 fois le même amendement, rédigé dans des termes strictement identiques, déposés par des députés de tous bords pour supprimer un dispositif de la loi Macron, en 2015. Quelques lignes qui venaient en réalité du Conseil supérieur du Notariat, furieux contre le texte, et qui avait copieusement arrosé les élus d'e-mails.

Des colloques (et des collaborateurs) rémunérés. Mais le lobbyisme prend parfois des formes plus pernicieuses. Dans un rapport rédigé en 2013, le député socialiste Christophe Sirugue pointait notamment les colloques organisés par des groupes privés à l'Assemblée nationale. Pour louer les salles nécessaires, il faut arriver à réunir des fonds. "Les sociétés de relations publiques démarchent donc des entreprises ou des institutions susceptibles d'être concernées par le sujet du colloque", écrit Christophe Sirugue. "Il est possible d'imaginer qu'en fonction de leur contribution financière, les entreprises aient accès à une tribune plus ou moins importante. Le colloque, qui au départ est un moyen de rendre publics tous les points de vue sur un sujet, prend un tour beaucoup plus subjectif.

Autre manifestation du lobbyisme, également dénoncée par Christophe Sirugue dans son rapport : "il peut arriver qu'un collaborateur [parlementaire] exerce, à côté de son contrat de collaborateur, une fonction rémunérée par des représentants d'intérêts."

Première règlementation en 2009. Face à toutes ces difficultés, l'Assemblée a pris des mesures. Depuis 2009, une règlementation sur le sujet existe. Un registre a été créé pour lister les lobbies, qui sont tenus de respecter un "code de conduite". Celui-ci comprend notamment le fait de ne pas apporter des informations aux parlementaires contenant "des éléments volontairement inexacts destinés à les induire en erreur", mais aussi l'interdiction de se prévaloir "à des fins commerciales ou publicitaires" de leur présence sur la liste de l'Assemblée nationale.

Jugé incomplet, ce registre va être remplacé à la fin de l'année par un "répertoire" tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). L'inscription des lobbies à ce répertoire, introduit avec la loi Sapin II en 2016, est obligatoire avant le 31 décembre sous peine de sanctions pénales. Vendredi après-midi, plus de 600 représentants d'intérêts s'étaient déjà inscrits.

HATVP

Capture d'écran du site de la HATVP, où sont répertoriés les représentants d'intérêts.

 

Amendement à la loi confiance. Concernant la rémunération d'un collaborateur parlementaire par des représentants d'intérêts, c'est devenu illégal après l'adoption d'un amendement Nouvelle Gauche dans la loi de confiance, votée au mois de juillet dernier. À la plus grande surprise, d'ailleurs, d'une partie de l'hémicycle. "Ce que vient de présenter Delphine Batho [députée NG], je pensais que c'était la règle tellement ça m'apparaît évident", lâchera même l'Insoumis Eric Coquerel en séance.

La proposition des députés sur les entrées et sorties des lobbyistes en open data présentée mercredi relève d'une logique similaire de transparence. "On a besoin de pouvoir utiliser et croiser les données", explique Elsa Faucillon, la députée PCF qui a présidé le groupe de travail auteur de la proposition. "Cela permettrait de vérifier et contrôler ces lobbies qui vont et viennent. Parfois, il arrive que leur travail pourtant pugnace passe inaperçu, notamment auprès de jeunes élus."

Agendas ouverts. Pour Elsa Faucillon néanmoins, le dispositif, qui doit encore être examinée par le Bureau de l'Assemblée national en janvier avant d'être éventuellement adopté, n'est pas suffisant. "Le groupe communiste avait aussi proposé une mise en ligne des rendez-vous des députés avec des représentants d'intérêts. Car beaucoup de ces rendez-vous se font à l'extérieur de l'Assemblée nationale." Et dans ce cas, badge ou non, ils passent sous les radars.

" Nous avions proposé une mise en ligne des rendez-vous des députés avec des représentants d'intérêts. Beaucoup se font à l'extérieur de l'Assemblée. "

Plusieurs députés mènent des initiatives personnelles en ce sens. Matthieu Orphelin a ainsi annoncé dès le début de son mandat qu'il publierait la liste de ses rendez-vous avec les lobbies. "Pour moi, progresser là-dessus était une évidence", explique celui qui, chaque mois, inscrit les noms des représentants d'intérêts et les thèmes évoqués avec eux dans "l'agenda ouvert" consultable sur son site internet. "Je m'étais fait aider par plusieurs organismes, comme Transparency International et l'association Regards Citoyens. Par ailleurs, cela permet aussi d'expliquer le travail de député, de montrer ce que l'on fait lorsqu'on n'est ni en commission ni en séance."

Ce travail prend à l'élu et ses collaboratrices environ deux heures tous les mois. Et plusieurs de ses collègues, comme Aurore Bergé ou Sylvain Maillard, lui ont emboîté le pas. "Sur ces questions de transparence, il faut un mouvement de fond", estime Matthieu Orphelin, qui souligne par ailleurs que les lobbies qu'il rencontre "ne vivent pas mal" ces efforts de transparence. Le député du Maine-et-Loire avait pensé déposer un amendement à ce sujet lors de la loi confiance. "Mais le sujet n'était pas encore mûr", argue-t-il aujourd'hui. "À terme, je pense qu'il faut l'obliger via le règlement de l'Assemblée nationale."

L'importance de l'open data. L'agenda public des élus fait également partie des recommandations de Transparency International. Qui souhaiterait, comme Elsa Faucillon, que cela s'institutionnalise, afin notamment de pouvoir passer à l'open data. "Cela permettra d'exploiter réellement les données, de remonter dans le temps", souligne Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer vie publique au sein de l'ONG. "Nous recommandons d'ailleurs l'open data également pour les personnes auditionnées à l'Assemblée nationale lors de la confection de rapports. Pour l'instant, leur nom apparaît bien, mais à la fin d'un PDF. C'est difficilement exploitable de manière automatisée."

" Le lobbying fait système aujourd'hui. L'élaboration de lois en faveur de la transparence qui ne ciblent que l'Assemblée, ce n'est pas suffisant. "

Des dispositions insuffisantes. Si Elsa Foucraut admet qu'il y a "une prise de conscience des enjeux" de transparence autour du travail des lobbies de la part des pouvoirs publics, ce qui est fait pour l'instant "ne suffit pas". Le registre concocté par la HATVP, par exemple, paraît largement "en deçà des attentes" pour Transparency International. "Les représentants d'intérêts n'ont à remplir des informations que sur une base annuelle", regrette Elsa Foucraut. "Il n'est pas obligatoire de rendre publiques les positions qu'ils défendent. Et ils n'ont pas à révéler l'identité des parlementaires qu'ils rencontrent."

Regarder du côté de l'exécutif. En outre, le problème dépasse largement celui du cadre de l'Assemblée nationale, et même du Parlement dans son ensemble. "L'Assemblée et le Sénat sont loin d'être les instances les plus opaques", note Elsa Foucraut. "L'empreinte normative des lobbies se fait souvent en amont ou en aval, lors de la publication des décrets." En cela, la responsable du plaidoyer vie publique de Transparency International est rejointe par Elsa Faucillon, qui souhaiterait que les entrées et sorties des lobbyistes ne soient pas seulement enregistrées au Palais Bourbon, mais aussi du côté des ministères et de l'Élysée. "Le lobbying fait système aujourd'hui", explique la députée. "L'élaboration de lois en faveur de la transparence qui ne ciblent que l'Assemblée, ce n'est pas suffisant. Il faut toucher tous les échelons institutionnels."