Le référendum d’initiative citoyenne, obsession des "gilets jaunes"

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Les "gilets jaunes" réclament un référendum d'initiative citoyenne. © Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP
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Salomé Hénon-Cohin , modifié à
Parmi les revendications principales des "gilets jaunes", le référendum d’initiative citoyenne fait figure de remède miracle. Selon eux, cela permettrait de rapprocher le peuple de ses représentants.
ON DÉCRYPTE

Trois lettres mais beaucoup d’ambition : le RIC est la mesure phare prônée par les "gilets jaunes" samedi, lors de l’acte 5 de leur rassemblement. Aux quatre coins de la France, ils ont brandi les pancartes réclamant ce "référendum d’initiative citoyenne". Cela n'a pas manqué de faire réagir une grande partie de la classe politique, pour qui ce dispositif pourrait être une nouvelle forme d’expression démocratique. Mais des questions demeurent sur les modalités exactes d'application.

Qu’est-ce qu’un référendum d'initiative citoyenne ?

Selon la Revue française de droit constitutionnel, "le droit d'initiative populaire (ou citoyenne) permet à tout citoyen d'élaborer une proposition de loi et de la soumettre aux suffrages, soit du Parlement, soit de la population, si elle réunit auparavant un nombre suffisant de souscriptions". Autrement dit, il permettrait au peuple de donner directement son avis sur des textes de loi ou le travail des hommes politiques via des référendums. Au cœur de ce système, la démocratie directe susceptible de faciliter la consultation du peuple sans passer par le Parlement.

Selon le dernier sondage Ifop sur le sujet, datant de 2011, 72% des Français sont favorables au référendum d’initiative populaire, contre seulement 12% contre.

Que revendiquent les "gilets jaunes" ?

Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) fait partie des "42 directives du peuple" publiées par les "gilets jaunes" sur les réseaux sociaux. Samedi, des représentants des "gilets jaunes"  se sont rendus devant l’Opéra Garnier à Paris pour exiger la mise en place de ce dispositif, dans le but de "rendre au peuple son rôle souverain".

Les "gilets jaunes" proposent quatre types de référendums. Le premier, qualifié de "législatif" permettrait aux citoyens de proposer directement une loi. Le référendum "révocatoire" aurait le pouvoir de démettre un responsable politique de ses fonctions. Le référendum dit "abrogatoire" aboutirait à la suppression d’une loi. Enfin, le référendum "constituant" pourrait permettre de modifier la Constitution.

 

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Chaque proposition serait formulée sur un site que les manifestants souhaitent indépendant du pouvoir politique. Dès que l'une d'entre elles atteint les 70.000 signatures, cela enclencherait la procédure référendaire.

Qu’est-ce qui existe déjà en France ?

En 2008, la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy prévoyait la mise en place de "référendums d’initiative partagée". En place depuis 2015, ce type de recours à la démocratie participative nécessite de rassembler un cinquième des membres du Parlement, soutenus eux-mêmes par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Soit environ 185 parlementaires et plus de 4,5 millions d’électeurs, un chiffre souvent critiqué car jugé trop élevé. En outre, ce référendum ne sert qu'à faire changer une loi, et ne peut ni abroger un texte ni révoquer un élu. Il n'a en réalité jamais été utilisé.

Comment ça marche ailleurs ?

Le RIC existe dans de nombreux pays : au Venezuela, au Liechtenstein, dans certains États américains et certains Länder allemands, en Italie ou encore en Suisse. La Confédération helvétique propose ces RIC depuis le milieu du 19e siècle. Si 100.000 citoyens à l’échelle nationale le souhaitent et l’expriment, tous les Suisses sont convoqués dans les bureaux de vote pour se prononcer par référendum sur un texte, qui sera ensuite débattu au Parlement. De plus, 50.000 signataires suffisent pour enclencher un vote pouvant mener à l’abrogation d’une loi.

Qu’en pensent les partis politiques ?

Lors de l’élection présidentielle de 2017, de nombreux partis proposaient un référendum d'initiative citoyenne. Le Front national fixait alors un seuil de 500.000 signatures. Samedi, Marine Le Pen a rappelé sur Twitter que cet "outil essentiel d'un fonctionnement démocratique" est "réclamé depuis des années" par son parti.

Nicolas Dupont-Aignan et son parti "Debout la France" proposent également un RIC avec un seuil de 500.000 citoyens. Benoît Hamon proposait en 2017 un "49.3 citoyen", qui aurait permis à 1% du corps électoral d’imposer au Parlement une proposition de loi. Ce dispositif aurait eu le pouvoir de bloquer la promulgation d'une loi votée par le Parlement ou de la soumettre à un référendum. Ce qui suscite de virulentes critiques chez les juristes, notamment le collectif Les Surligneurs, qui ont l'habitude d'analyser les propositions des politiques. Sur leur site, ils notent que le fait de pouvoir revenir sur des lois votées par des parlementaires reviendrait à "censurer le Parlement à travers un 49.3 citoyen". Selon eux, c'est donc une forme "d'autocensure". "Cela réduit encore plus les prérogatives du Parlement. C’est l’inverse du résultat recherché."

Alors qu’il ne le proposait pas en tant que tel dans son programme de 2017, Jean-Luc Mélenchon a affirmé son soutien à ce dispositif cette semaine à l’Assemblée nationale. Le leader de la France insoumise veut ainsi pouvoir "abroger une loi ou en proposer une", mais aussi "révoquer un élu, quel qu'il soit, du président de la République au conseiller municipal". Ce point précis, lui, figurait bien dans ses propositions de campagne.

Au sein de LR, Julien Aubert, député de la 5e circonscription du Vaucluse, a déposé une proposition de loi constitutionnelle début décembre pour "un véritable référendum d’initiative populaire". Enfin, même le Modem se dit "favorable" à cette idée, a rappelé la députée Isabelle Florennes sur LCI.

Est-ce que cela va suffire à résoudre la crise des "gilets jaunes" ?

Bien conscients que le RIC fait désormais partie des revendications principales du mouvement, LREM et le gouvernement travaillent sur cette mesure. Edouard Philippe dans Les Echos et Richard Ferrand sur France 3  ont annoncé leur volonté de voir "s’ouvrir un débat" sur la question, "à condition que l’on fixe" certaines règles comme le "taux de participation". Le président de l’Assemblée nationale souhaite par exemple que "l’expression populaire ne soit pas trahie par des minorités". Par ailleurs, il lui semble préférable de ne pas ouvrir le RIC à toute forme de revendication. Pas question, estime-t-il, de proposer de "tripler les retraites" ou de "révoquer tel ou tel ministre qui prendrait un mauvaise décision".

Sur Europe 1, Olivier Duhamel ne cache pas ses craintes face à ce qu'il qualifie de possible "référendum populiste". Le RIC est déjà "très difficile à faire aujourd'hui", dit-il. Mais surtout, selon lui, si le recours au référendum était facilité, cela s'avérerait "extrêmement dangereux" pour la démocratie. "Vous pouvez avoir un RIC qui demande la suppression des limitations de vitesse, un autre qui demande la suppression de la CSG, un troisième qui demande le rétablissement de la peine de mort, un quatrième qui demande la torture pour les auteurs d'attentats terroristes, etc", égraine-t-il, pour illustrer son inquiétude.

 

Plusieurs questions restent cependant en suspens : ces référendums, s’ils étaient mis en place, seraient-ils consultatifs ou bien verraient leurs effets appliqués directement ? Et quelles en seraient les modalités ? Le seuil de 70.000 personnes pose problème. Il est jugé parfois trop bas pour être véritablement représentatif. De fait, si 100.000 signatures représentent 1,8% de la population électorale de la Suisse, en France, 70.000 ne représentent que 0,15% des électeurs. Même les Insoumis, qui pourtant soutiennent la mesure, s'interrogent. À l'instar d'Adrien Quatennens, qui parlait sur FranceInfo  d'un seuil "autour de 500 000 personnes", voire plus.

Reste aussi à savoir si cet outil permettra réellement de reconnecter le peuple et l'exercice de la démocratie. Dans son article "populisme et démocratie semi-directe", Christophe Premat, politologue, se demande si justement la démocratie semi-directe est le résultat de la lenteur des institutions ou si elle est "essentielle à la transformation du système représentatif". Finalement, le référendum pourrait être, comme le précise la fondation Terra Nova sur Mediapart, "un instrument puissant d’une démocratie rénovée, plus directe, plus participative" mais il doit absolument être "encadré" pour éviter toute "manipulation" politique par le pouvoir.