Fonctionnaires : la fronde qui pourrait coûter cher à Macron

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Les fonctionnaires seront dans la rue, mardi, pour protester contre plusieurs mesures du gouvernement. © BORIS HORVAT / AFP
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Les agents de la fonction publique représentent un électorat composite mais ont placé Emmanuel Macron en tête du premier tour. En agitant des chiffons rouges, le président risque de se les aliéner.

Une fois n'est pas coutume, les syndicats se sont unis. La CFDT, la CGT, FO, mais aussi la CGC, la CFTC, FA, FSU, Unsa et Solidaires appellent conjointement les fonctionnaires à faire grève mardi, pour protester contre la politique du gouvernement. Une première depuis dix ans. Avec plus de 5 millions d'agents, la fonction publique sait qu'elle peut grandement perturber certains services, comme les écoles et les hôpitaux, mais aussi organiser des défilés d'ampleur dans la rue. La mécontenter, c'est donc s'exposer à d'importants dysfonctionnement. Mais aussi s'aliéner un segment électoral non négligeable.

Un électorat qui a "largement soutenu" Macron. Dans le cas d'Emmanuel Macron, l'enjeu est d'autant plus crucial que les fonctionnaires "l'ont largement soutenu" à la présidentielle, rappelle Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS qui travaille au Cevipof. Et ce, dès le premier tour. "Globalement, ils ont davantage voté pour lui (environ 27%) que ne l'ont fait les salariés du privé (23%)." Les fonctionnaires restent un électorat composite, sociologiquement pluriel : ceux de catégorie A, qui sont les plus diplômés, assimilés à des cadres, ont plus penché pour l'actuel chef de l'État que ceux de catégorie C. Les enseignants, eux, ont été 36% à le soutenir dès le premier tour. Emmanuel Macron a réussi à attirer les agents de la fonction publique qui avaient voté largement pour François Hollande en 2012, mais ne se sont pas reportés sur Benoît Hamon cinq ans plus tard.

Le risque de la contamination. Le potentiel de conflit social est donc important. En ajoutant aux fonctionnaires à proprement parler le "halo" qui entoure chaque électorat, c'est-à-dire les proches et les retraités, "on arrive à un quart des votants français", note Luc Rouban. Et pas n'importe quel quart. "C'est une population de salariés en moyenne fortement diplômée, qui s'intéresse beaucoup à la politique et va voter." Comme le souligne Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'institut Ifop, le risque n'est cependant pas immédiat. "L'enjeu électoral de court-terme n'existe pas. Les prochaines élections seront en 2019, et ce sont des européennes, traditionnellement plus sujettes à l'abstention."

" Emmanuel Macron a déjà une image de 'président des riches'. S'il devient aussi celui qui réduit trop les services publics, cela peut lui porter préjudice. "

Reste que personne n'aime se mettre à dos un électorat aussi vaste, qui peut rapidement en entraîner un autre. "Les Français sont très attachés aux services publics", détaille Luc Rouban. "Si vous regardez les enquêtes d'opinion, une minorité seulement voudrait voir le nombre d'agents baisser. Emmanuel Macron a déjà une image de 'président des riches'. S'il devient aussi celui qui réduit trop les services publics, cela peut lui porter préjudice au niveau de l'ensemble du corps électoral."

La rupture. Jusqu'ici, les signaux envoyés ne sont pas bons. Emmanuel Macron avait certes déjà annoncé, pendant sa campagne, qu'il supprimerait 120.000 postes de fonctionnaires sur cinq ans. Il avait également programmé le rétablissement du jour de carence en cas d'arrêt maladie, supprimé par François Hollande. Une mesure qui entrera en vigueur l'année prochaine. Mais d'autres initiatives n'étaient pas prévues, comme le gel du point d'indice ou la compensation de la hausse de la CSG, dont les modalités restent très floues. Certaines catégories d'agents, notamment les territoriaux, ressentent de plein fouet le non-renouvellement des contrats aidés. Plus symbolique (mais on aurait tort de négliger les symboles en politique), le ministère de la fonction publique a disparu et le portefeuille a été récupéré par Bercy, qui abrite deux ministres venus de la droite libérale.

"Les fonctionnaires sont donc la catégorie sur laquelle on observe une véritable rupture d'opinion" vis-à-vis de l'exécutif, analyse Frédéric Dabi. Peut-on y déceler l'amertume de la déception ? "Ce qui est certain, c'est que pendant la campagne, la polarisation du discours critique des fonctionnaires ne s'est faite quasiment que sur François Fillon", au programme infiniment plus rigoureux pour les agents de la fonction publique. Ses propositions plus radicales ont pu jouer un rôle de "repoussoir", ce qui explique l'effondrement du candidat de droite auprès de cet électorat, qui a "peut-être moins prêté attention aux propositions d'Emmanuel Macron".

L'ampleur de la mobilisation mardi sera donc à scruter avec attention. Jusqu'ici, l'exécutif a misé sur le fait que les mouvements sociaux étaient l'œuvre de ses détracteurs de toujours, qui n'avaient pas voté pour lui, ou alors seulement dans une logique de barrage au Front national. Cette fois, c'est une partie de son électorat de base qui descend dans la rue.