Affaire Benalla : les sept enseignements des nouvelles auditions au Sénat

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La commission d'enquête du Sénat a poursuivi ses auditions mercredi. © Bertrand GUAY / AFP
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Certains aspects de l'affaire, comme le port d'arme de l'ex-collaborateur de l'Élysée, restent flous. Mais les trois auditions de mercredi au Sénat ont permis de comprendre pourquoi Alexandre Benalla portait un brassard de police le 1er mai.
ON DÉCRYPTE

Sortie de sa trêve estivale, la commission d'enquête du Sénat a repris mercredi ses auditions dans le cadre de l'affaire Benalla. Avec encore et toujours le même objectif : comprendre comment et pourquoi cet ancien collaborateur de l'Élysée a pu, alors qu'il était simple observateur des manifestations du 1er mai, procéder à des interpellations musclées à deux reprises, au Jardin des Plantes puis place de la Contrescarpe.

Les trois auditions de mercredi ont permis par exemple d'obtenir une explication au port, par Alexandre Benalla et Vincent Crase, un gendarme réserviste également présent le 1er mai, d'un brassard "police" alors qu'ils étaient bien des civils. En revanche, les sénateurs n'ont pas avancé d'un pouce sur certains points qui restaient encore à éclaircir, notamment le port d'arme d'Alexandre Benalla par rapport à ses missions élyséennes.

Flou autour de l'attribution du port d'arme de Benalla

L'un des principaux aspects de l'affaire qui restent à éclaircir est celui du rôle exact d'Alexandre Benalla auprès du président de la République. En effet, du côté de l'Élysée, toutes les personnes interrogées jusqu'ici ont dit et répété que l'ancien collaborateur n'assurait aucune mission de police auprès d'Emmanuel Macron mais s'occupait de l'organisation et de la coordination de ses déplacements. Pourtant, la préfecture de police avait bien accordé un port d'arme à titre professionnel à Alexandre Benalla. Comment donc expliquer ce hiatus entre le rôle du jeune homme et l'attribution de ce port d'arme ?

Sur ce point, les trois auditions de mercredi n'ont pas permis d'avancer. "Benalla n'a jamais pris la place d'un policier ou d'un gendarme", a martelé François-Xavier Lauch, chef de cabinet d'Emmanuel Macron. "Je peux vous assurer qu'il n'a pas exercé de mission de police. J'ai entendu parler d'une milice à l'Élysée, ce n'est absolument pas le cas." François-Xavier Lauch n'a pas été en mesure d'expliquer l'attribution du port d'arme, qui n'a "jamais transité" par lui, a-t-il certifié.

 

Le général Eric Bio-Farina, commandant militaire de la présidence de la République, a lui aussi certifié qu'Alexandre Benalla n'était pas en mesure de "donner des ordres" à des forces de police, quelles qu'elles soient. Il n'a pas pu répondre à la question de savoir si les missions de l'ex-collaborateur justifiaient son port d'arme. Avant de s'emmêler les pinceaux et de contredire l'une de ses précédentes déclarations. "Est-ce qu'Alexandre Benalla portait son arme dans le cadre de ses missions à l'extérieur ? Personnellement, moi, je ne l'ai jamais vu", a-t-il affirmé. Pourtant, le 25 juillet dernier, alors qu'il était interrogé par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, Eric Bio-Farina avait certifié l'avoir "vu porter une arme dans le cadre de certaines de ses missions". Finalement, c'est bien à cette version que le général s'en est tenu. "Bien sûr, je ne renie pas ce que j'ai dit aux auditions [de l'Assemblée]", a-t-il déclaré.

L'invitation de Benalla toujours en question

La préfecture de police était-elle au courant de la venue d'Alexandre Benalla le 1er mai ? Sur ce point, deux versions s'opposent toujours. D'un côté, le général Eric Bio-Farina a raconté aux députés que lors d'un dîner qui s'est tenu fin avril, Alain Gibelin, le directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police, s'était entretenu avec Alexandre Benalla de sa venue le 1er mai. Ce qui indiquerait que la DOPC était donc prévenue. De l'autre, Alain Gibelin, qui n'avait pas mentionné ce dîner lors de sa première audition, a confirmé qu'il s'était tenu lors de la deuxième audition mais nié toute mention des manifestations de la Fête du Travail. Mercredi, Eric Bio-Farina n'a pas dévié d'un pouce. "Je ne peux pas redire autre chose que ce que j'ai déjà dit. Il a été évoqué [lors de ce repas] la manifestation du 1er mai."

La faiblesse de la sanction inexpliquée

Au cœur de l'été, les sénateurs s'en étaient déjà étonnés : comment expliquer la légèreté de la sanction d'Alexandre Benalla au regard de la gravité des faits qui lui sont reprochés ? Ils n'ont pas obtenu plus de réponse mercredi. François-Xavier Lauch a reconnu avoir "été choqué" en visionnant la vidéo des interpellations de la Contrescarpe. "Je l'ai fermement sermonné", a expliqué le chef de cabinet d'Emmanuel Macron, qui n'a cependant "pas été associé" à la décision d'appliquer 15 jours de suspension. "Je ne pouvais qu'y souscrire", a-t-il reconnu, mais "je n'étais pas là". De fait, François-Xavier Lauch était en Nouvelle-Calédonie, en déplacement avec le président au moment des faits, début mai.

Pas de quoi satisfaire les sénateurs, qui ont également interrogé le chef de cabinet sur la "rétrogradation" qui aurait été infligée à Alexandre Benalla. Pourquoi garder un collaborateur qui ne pouvait plus assurer toutes ses missions initiales alors que, de l'aveu même de François-Xavier Lauch, la "chefferie du cabinet" fonctionnait en effectifs très réduits ? Pourquoi ne pas le licencier ? L'interrogé a botté en touche : "il y a derrière des services plus nombreux, qui ont une grande qualité de travail." En revanche, il a confirmé que cette rétrogradation était effective. "Nous avons décidé de lui retirer la préparation, l'organisation et la réalisation des déplacements officiels du président de la République." Alexandre Benalla a d'ailleurs selon lui "très mal vécu" ces changements de mission.

Sur l'article 40, l'Élysée esquive (encore)

Autre interrogation de la commission d'enquête : pourquoi personne n'a saisi l'article 40 du code de procédure pénale, qui oblige tout fonctionnaire, officier public ou autorité constituée à signaler au procureur de la République un délit ou un crime dont il aurait connaissance ? Jusqu'ici, toutes les personnes interrogées s'étaient renvoyé la balle. Ce fut aussi le cas mercredi. François-Xavier Lauch a de nouveau mis en avant son éloignement au moment des faits. "Ce n'est pas le chef de cabinet à l'autre bout de la planète qui peut faire un article 40. Je n'étais pas en position de le faire là où j'étais à ce moment-là."

Un brassard et une radio qui ne "choquent pas"

Là où les sénateurs ont pu avancer un peu, c'est au sujet de l'équipement d'Alexandre Benalla et Vincent Crase au moment de leurs interpellations musclées. Si le port du casque a été jugé normal pour tout observateur sur une opération de maintien de l'ordre, la présence de radios et de brassard "police" sur des civils restait en revanche inexpliquée. Alain Gibelin de la DOPC l'avait même jugée "inacceptable" devant les députés le 26 juillet dernier.

Mercredi, pourtant, Maxence Creusat, commissaire de police à la DOPC, n'a pas jugé ces équipements "choquants". La radio est selon lui nécessaire pour assurer la sécurité des observateurs qui, en revanche, se contentent d'écouter sans intervenir sur les conversations. Quant au brassard, il lui arrive régulièrement, lorsqu'il prend en charge des observateurs, de leur prêter le sien afin qu'ils puissent être mieux identifiés pour, par exemple, passer des barrages. "L'observateur n'a pas le brassard toute la journée", a-t-il néanmoins nuancé.

De la difficulté d'interroger une personne mise en examen

Autre enseignement de la journée de mercredi : interroger une personne poursuivie dans le cadre d'une enquête judiciaire est très compliqué pour les sénateurs. De fait, au nom du respect de la séparation des pouvoirs, les élus ne peuvent interférer avec l'enquête. Ils n'ont donc pas la possibilité de poser des questions sur tous les sujets et peuvent se voir opposer un refus de répondre. C'est ce qui s'est passé avec Maxence Creusat, le commissaire de la DOPC mis en examen pour avoir illégalement récupéré et transmis les images de la vidéosurveillance de la Contrescarpe à Alexandre Benalla. À plusieurs reprises, la commission d'enquête a appuyé ses questions sur des déclarations qu'il avait pu tenir en garde à vue et qui avaient fuité dans la presse. Chaque fois, le commissaire a refusé de commenter.

 

Un petit avant-goût de ce qui pourrait se produire lors de l'audition d'Alexandre Benalla, mis en examen pour "violences en réunion", "immixtion dans l'exercice d'une fonction publique", "port public et sans droit d'insignes réglementés", "recel de détournement d'images issues d'un système de vidéo-protection" et "recel de violation du secret professionnel"…

Une nouvelle stratégie de défense de LREM

Ces nouvelles auditions, en relançant une affaire Benalla mise en sommeil pendant le mois d'août, ont également permis de noter la nouvelle ligne de défense adoptée par la majorité. Celle-ci a, toute la journée, dénoncé une récupération politique de l'affaire par la chambre haute du Parlement. "On voit bien la commission du Sénat se transforme en juge, en accusateur, et qu'elle cherche à atteindre le président plutôt qu'à faire la lumière sur une affaire dont on connait tout aujourd'hui", a vivement réagi François Patriat, sénateur LREM, sur Public Sénat. Plus tôt dans la journée, Benjamin Griveaux, regrettait sur France Info que "la commission parlementaire au Sénat ne soit pas présidée par quelqu'un qui puisse venir de LREM" [son président, Philippe Bas, est LR]. "Ma conviction, c'est que presque tout a été dit sur cette affaire", poursuivait le porte-parole du gouvernement. "Il y a déjà eu des dizaines d'auditions. J'espère qu'on pourra enfin tourner la page."