Sivens, un nouveau Notre-Dame-des-Landes ?

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COMPARATIF - La mobilisation contre ce barrage du Tarn n'est pas encore aussi ample que celle contre l'aéroport en Loire-Atlantique. Mais elle est déjà explosive.

Le conflit du barrage de Sivens est-il en train de dégénérer ? Le cadavre d'un jeune homme de 21 ans a été retrouvé dimanche, aux abords du chantier de ce barrage du Tarn, au terme d’une nuit d’affrontements entre opposants et gendarmes. Pour l'heure, les conditions dans lesquelles Rémi, la victime, est mort, restent mystérieuses. Mais ce drame met en lumière un combat qui a commencé depuis déjà plusieurs mois. Et qui ressemble à s'y méprendre à celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Un projet dit "d'intérêt général" qui divise, une zone naturelle menacée, des divergences entre écologistes et élus locaux, une division de la gauche, des affrontements violents… Si la mobilisation du Tarn est, pour l'heure, encore moindre que celle de Loire-Atlantique, elles ont déjà de nombreux points communs.

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Un aérodrome et une rivière jugés trop petits. Rappelez-vous, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, officiellement suspendu pour le moment, vise à construire un aéroport près de Nantes pour désengorger l'aérodrome actuel. Le barrage de Sivens, lui, est censé "désengorger" le Tescou, la rivière locale, qui n'arrivera bientôt plus à remplir son rôle d'irrigateur de la région, selon les défenseurs du projet. Le chantier, en cours sur la commune de Lisle-sur-Tarn, doit accoucher d'un barrage d'1,5 million de m3 d'eau, de 304 mètres de large pour 12 mètres de hauteur et 2 kilomètres de long. Les deux tiers du futur réservoir sont destinés à l’agriculture, le tiers restant à la "salubrité du milieu aquatique".

Porté par le Conseil général du Tarn, le coût du projet est évalué à 7,8 millions d'euros : 4,2 millions d'euros financé par l'Agence de l'Eau Adour-Garonne, 1 million d'euros chacun pour les Conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne et 2 millions financés par un fonds européen. Un coût auquel il faut ajouter environ 360.000 euros annuels d'entretien.

Une menace pour l'écologie dans les deux cas. Anti-aéroports, anti-barrages, même combat : l'écologie. C'est le principal cheval de bataille des opposants aux deux projets. Pour Notre-Dame-des-Landes, les écologistes dénoncent la destruction d'hectares de terres agricoles pour laisser place au béton de l'aéroport et aux déjections de CO2 des avions. Le projet représente également une menace pour des populations d’espèces protégées ou considérées comme fragiles, tels le Triton marbré, le Triton crêté, le Lézard vivipare ou encore le Campagnol amphibie. Dans le Tarn, le projet de barrage prévoit la destruction 13 hectares de la zone humide du Testet, un réservoir de biodiversité, classée zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique (Znieff). 94 espèces protégées sont menacées, parmi lesquels les lamproies de Planer, un vertébré primitif en forme d'anguille.

Les "pour" : l'exécutif local et des paysans. Comme pour Notre-Dame-des-Landes, le projet de barrage et soutenu par la majeure partie des institutions locales, et critiqué par de nombreux écologistes. "Depuis de nombreuses années, le Tescou rencontre des situations d'assèchement estival qui perturbent à la fois sa qualité biologique et les activités économiques présentes localement", justifie par exemple le Conseil général du Tarn dans un communiqué. Ce dernier, présidé par le socialiste Thierry Carcenac, est l'un des principaux partisans du projet. La préfecture du département a également déclaré l’ouvrage "d’intérêt général" en 2013. Et elle a été soutenue tour à tour par le Tribunal administratif de Toulouse et le Conseil d'Etat, qui ont rejeté un référé en suspension émis par les opposants. Enfin, le barrage a reçu le soutien de la Fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles, soucieux de voir les fermes locales correctement irrigués.

Les "contre" : des paysans et des écologistes. De nombreux agriculteurs sont toutefois opposés au barrage. Des militants écologistes, des riverains et des paysans du secteur se sont ainsi regroupés en deux collectifs, le Collectif du Testet et le Collectif Bouille. La Confédération paysanne a également demandé un moratoire sur le projet. À part ces derniers, plutôt pacifistes, les opposants comptent également parmi leurs rangs des militants altermondialistes un peu plus extrémistes, qui vont parfois jusqu'au contact avec les forces de l'ordre. Parmi eux : des militants  autoproclamés "zadistes, un terme directement inspiré de la "Zone à défendre" (ZAD) qu'était celle de Notre-Dame-des-Landes, d'après ses opposants.

La gauche divisée. A l'instar de Notre-Dame-des-Landes, le combat des opposants au barrage de Sivens glisse sur le terrain politique. Notre-Dame-des-Landes était défendu d'une main de fer par Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, ancien maire de Nantes, et plus fervent défenseur du projet (suspendu peu après son départ du gouvernement).

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Le barrage, porté par le socialiste Thierry Carcenac, a reçu le soutien du Premier ministre Manual Valls. "Mobiliser la ressource en eau est un élément décisif pour l’installation des jeunes agriculteurs, c’est pour cela que nous avons tenu bon à Sivens", avait déclaré ce dernier en septembre, devant des agriculteurs girondins. Le combat du Tarn divise ainsi tout autant la gauche que son cousin de Loire-Atlantique. Jean-Luc Mélechon, José Bové, et la quasi-totalité des écologistes affichent leur soutien aux opposants des deux projets, contre l'avis du gouvernement. La socialiste Delphine Batho, qui soutenait l'aéroport lorsqu'elle était au gouvernement, appelle maintenant à la suspension des deux projets.

Et maintenant ? Pour l'heure, la contestation reste encore d'une moindre ampleur à Lisle-sur-Tarn qu'à Notre-Dame-des-Landes. L'aéroport a réuni, à plusieurs reprises, des dizaines de milliers de manifestants de la région nantaise contre lui. Le barrage n'a, lui, fédéré "que" 2.000 personnes ce weekend, la plus grosse manifestation contre le projet à l'heure actuelle. Mais la mort de Rémi pourrait apporter au mouvement une médiatisation soudaine. D'autant que le combat contre Notre-Dame-des-Landes, qui a fait des dizaines de blessés, n'a pour le moment causé la mort de personne.

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L'avenir du barrage se jouera peut-être dans les heures qui viennent. La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, silencieuse en l'attente d'un rapport d'expertise, devait réunir en début de cette semaine, peut-être dès lundi, les acteurs du dossier à la préfecture du Tarn, afin de prendre une décision. Poussera-t-elle Manuel Valls a changé d'avis ? Peut-être, car les arguments en faveur du barrage s'amenuisent.

La guerre des chiffres. À Notre-Dame des Landes, les opposants au projet sont soutenus par un certain nombre de rapports, selon lesquels la région n'avait pas vraiment besoin du nouvel aéroport. Et selon les écologistes, le Tarn n'avait pas non plus besoin d'un barrage si grand. D'après eux, ce barrage a été prévu pour 80 agriculteurs alors qu'une vingtaine en aurait vraiment besoin. La Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), auteure du rapport sur lequel se base le Conseil général, aurait en effet vu trop large. Elle se base sur une stabilisation des surfaces irrigables. Or, d’après la chambre d’agriculture du Tarn, les surfaces irriguées dans le département ne cessent de baisser (- 42% depuis 2001, selon Libération).

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Les écologistes ont d'ailleurs été appuyées par le rapport d'expertise commandé par Ségolène Royal, qui dénonce des "besoins surestimés", une étude d'impact de l'environnement "de qualité moyenne" et un "financement fragile". Mais comme pour Notre-Dame-des-Landes, les défenseurs du projet misent sur le long terme. "Nous nous projetons à plus dix ou vingt ans. Et nous estimons qu’il y aura un développement économique et agricole de la région mais aussi plus de pression du fait du réchauffement climatique", répond ainsi la CAGC dans Libé.

Les défenseurs du projet assurent que le barrage est écologiquement exemplaire. Et pour cause : 19,5 hectares de zones humides favorables aux 94 espèces protégées sont censées être reconstituées un peu plus loin. Mais cet argument a été mis à mal fin 2012 par le conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), selon qui ces "mesures compensatoires présentent un caractère hypothétique, voire inadéquat".