Qu'est-ce qui coince chez Bayrou ?

La chute de François Bayrou sous le seuil symbolique des 10% d'intentions de vote au premier tour s'explique selon les analystes, par la "bipolarisation" du scrutin.
La chute de François Bayrou sous le seuil symbolique des 10% d'intentions de vote au premier tour s'explique selon les analystes, par la "bipolarisation" du scrutin. © REUTERS
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Après un début de campagne en fanfare, le candidat MoDem dégringole dans les sondages.

Mais qu'arrive-t-il à François Bayrou ? Après avoir quasiment doublé son score dans les intentions de vote cet hiver, le centriste enregistre de sérieuses pertes dans les sondages. Dans le baromètre Ifop/Fiducial pour Europe 1/Paris Match/Public Sénat publié mardi, le candidat du MoDem subit un recul de 2 points, soit 3,5 points depuis un mois, et chute sous le seuil symbolique de 10% des intentions de vote (9,5%).

Pour l'Ifop, pas de doute : "c'est le grand perdant de cette enquête".

Rétrogradé en cinquième position

François Bayrou, brillant troisième en 2007, avec 18,57% des suffrages exprimés, doit aujourd'hui se contenter de la cinquième place dans les intentions de vote. Encore dans le quarté de tête il y a moins d'un mois, François Bayrou s'est fait doubler par Jean-Luc Mélenchon, la "révélation" de la campagne. La lutte pour la troisième place devrait donc se résumer, à en croire le dernier baromètre Ifop, à un duel entre la présidente du Front national Marine Le Pen, qui remonte après avoir longtemps baissé (16,5%, +1), et le candidat du Front de gauche, toujours en hausse (14%, +1).          

>> Pour voir l'évolution des courbes, consultez le Rolling Ifop Paris Match.

A 12 jours du premier tour, le centriste voit donc s'éloigner son rêve d'accéder à la présidence. Sa chute est spectaculaire, mais pas si surprenante.      

Une campagne clivante

2007 n'est pas 2012. Interrogé par Europe1.fr, Frédéric Dabi, de l'Ifop, en est convaincu : "la nature de l'élection ne convient pas" au candidat centriste. L'enquête de l'Ifop explique ainsi que François Bayrou "ne reconstitue", aujourd'hui, "qu’un gros tiers de son socle électoral" d'il y a cinq ans.

Si la présidentielle de 2007 était celle du "renouvellement" et des nouveaux candidats, celle de 2012 est en effet "marquée par une forte bipolarisation", explique le spécialiste. Il n'y a donc plus beaucoup d'espace pour le centre.

François Bayrou a également du mal à siphonner l'électorat des deux grands partis. En 2007, le centriste avait pourtant "profité des électeurs de gauche, inquiets face à Ségolène Royal". Il avait aussi recueilli le vote de certains électeurs de droite, hostiles à "la rupture" proposée par Nicolas Sarkozy, souligne Frédéric Dabi. Or, cette fois-ci, le candidat socialiste apparaît "solide",  et Nicolas Sarkozy est "le président sortant de la droite républicaine". En 2012, "l'offre du PS et de l'UMP convient beaucoup moins au Béarnais", conclut le politologue.

Un resserrement de l'espace politique au centre qui, selon certains analystes s'est accentué avec l'affaire "Merah", dont la gestion par le chef de l'Etat a été saluée par deux tiers des Français. Selon Gaël Sliman, de l'institut BVA, "le chef de l'Etat s'est 'représidentialisé' avec l'affaire Mohamed Merah". "On ne peut pas dire que ce qui s'est passé l'ait arrangé", appuie Frédéric Dabi de l'Ifop.

Du mal à faire passer le message

En 2007, le centriste avait réussi à faire de la dette un thème phare de la campagne. Cinq ans plus tard, l'urgence reste posée et François Bayrou répète à loisir : "j'ai eu raison". Mais pour le politologue Frédéric Dabi, "cette posture n'a pas suffit à créer une dynamique électorale".

Certes, en 2012, le "produire français", c'est lui. Mais là encore, le député des Pyrénées-Atlantiques n'a pas réussi à capitaliser sur ce thème. Ses concurrents "se sont jetés dessus". Tous parient désormais sur le "made in France". En décembre dernier, il n'était pas encore officiellement candidat mais Nicolas Sarkozy proposait déjà "d'encourager les entreprises à produire en France, qu'elles soient françaises ou étrangères". François Hollande compte de son côté orienter les financements "vers les entreprises qui investiront sur notre territoire",  et demander aux entreprises qui délocalisent "le remboursement des aides publiques perçues".

Et pendant que déclic se fait attendre, sur le terrain, le message de François Bayrou a du mal à passer, même s'il bénéficie d'une forte popularité. Si bien que même auprès des militants, le doute s'installe. Ils étaient 900 à s'être déplacés jeudi dernier pour écouter son meeting à Perpignan. La salle n'était pas pleine, comme un signe supplémentaire que sa campagne ne décolle pas.

Le paradoxe Bayrou

Un décrochage toutefois surprenant si l'on se réfère aux enquêtes de popularité. Une enquête Ifop pour Paris Match au mois de mars place le Béarnais comme le candidat à la présidentielle le plus populaire (Il est deuxième derrière François Hollande selon le baromètre mensuel Ipsos/Le Point diffusé lundi, nldr).

Mais pour les analystes, cette popularité est une preuve supplémentaire de la perte de vitesse de François Bayrou. "Tout se passe comme s'il était perçu par les gens comme étant un grand témoin mais pas un acteur", observe ainsi Gaël Sliman. Pour le politologue, François Bayrou est un peu dans le même cas de figure qu'un "Bertrand Delanoë" ou "Bernard Kouchner", à savoir "des personnalités qui apparaissaient neutres, extérieures au système".

Incarner "l'espoir" sans faire "rêver"

Pourtant, ne comptez pas sur François Bayrou pour promettre du rêve aux Français. Face à des candidats qui tentent tous de faire "comme si la France pouvait dépenser sans mesure", "Il n'y a que par la vérité qu'on peut trouver le chemin du redressement", martèle à chacune de ses interventions le centriste. Dans une interview accordée au Monde samedi dernier, le candidat MoDem reconnait pourtant : "il est vrai qu'il est difficile, pour un pays, de prendre conscience de la réalité de sa situation quand tous ses responsables politiques et médiatiques évitent tous les thèmes critiques".

Le centriste, qui a récemment détaillé les 100 premiers jours de son mandat s'il était élu veut incarner "l'espoir"…sans faire rêver. Au risque de voir son discours perdu dans les méandres d'une campagne où les deux principaux candidats ne craignent plus la surenchère.

Mais au MoDem, on a une toute autre explication du décrochage du candidat centriste. "Les Français n'ont pas envie de voir quelqu'un leur dire la vérité", confie à Europe1.fr Jean-Luc Bennahmias, vice-président du MoDem. Et les sondages ? "Une vue de l'esprit".