"La médiatisation contribue en partie à la résolution des crises humanitaires"

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Philippe Vandel, édité par Séverine Mermilliod
Dans son rapport annuel "Suffering in Silence", l’association humanitaire CARE présente les dix "crises humanitaires sous-médiatisées" en 2019. Les crises africaines sont les grandes oubliées, comme le dévoile Philippe Lévêque, directeur général de l'ONG, au micro d'Europe 1.
INTERVIEW

"En 2019, la photo d’un œuf a reçu près de 54 millions de likes, devenant ainsi la photo la plus populaire d’Instagram. Dans le même temps, 51 millions de personnes dans le monde ont souffert, loin des projecteurs, victimes de crises humanitaires oubliées." C’est avec ces mots que l’association humanitaire CARE présente son rapport Suffering in Silence ("souffrant en silence"). Pour la quatrième année consécutive, l'ONG recense les dix crises humanitaires "oubliées" par les médias en 2019. Moins elles sont médiatisées, plus ces crises durent, constate sur Europe 1 Philippe Lévêque, directeur général de CARE France.

Le classement est établi avec l’aide d’un cabinet extérieur qui va mesurer en anglais, français, allemand, espagnol et arabe les occurrences sur le net des noms de 40 crises recensées par l’ONU dans des médias. 2,4 millions d’articles ont été pris en compte sur des crises concernant au moins un million de personnes. Résultat : l’Afrique est la grande oubliée des micros et des caméras, 9 fois sur 10. 

Quelles sont les 10 crises oubliées ?

La crise humanitaire la moins médiatique en 2019, avec 612 mentions seulement, "c'est Madagascar. Au sud malgache, il y a chaque année des sécheresses" qui entraînent une sous-alimentation, et qui touche plus de 2,5 millions de personnes, précise Philippe Lévêque. En comparaison, le conflit en Syrie, le plus suivi, comptabilise plus de 425.000 articles. Et pour le mot "Paris Saint Germain" : 2,7 millions d'occurrences.

Viennent ensuite les crises en Zambie, en Érythrée et au Kenya, liées à des problèmes de sécheresse dans la zone. Le classement compte aussi la crise environnementale et les violences sexuelles en Ethiopie, le conflit en République centrafricaine, la pauvreté extrême au Burundi.

En queue de classement, les dernières crises oubliées sont la famine en Corée du Nord, la crise sécuritaire au Burkina Faso et enfin l'insécurité alimentaire et les déplacements dans le bassin du lac Tchad.

Quels points communs à ces crises ?

"Une crise dont on ne parle pas dans les médias sera moins financée et moins dans le radar des politiques. Et donc ces crises durent plus longtemps", estime le directeur de CARE France. Pour 7 de ces 10 crises, "le réchauffement climatique et ses impacts les relient". Par ailleurs, 6 des 10 crises mises en avant dans le classement 2019 y ont déjà figuré au moins deux fois auparavant.

L'objectif de CARE, c'est donc de produire "un rapport pour challenger vos conférences de rédaction", rappelle Philippe Lévêque, s'adressant aux médias en général. La crise en République centrafricaine, présentée dans le rapport, et qui a fait "des dizaines de milliers de morts, c'est un peu moins de 1000 occurrences. Le concours de l'eurovision en mai 2019, c'est 100.000 ! Un regard plus fort des médias sur les crises oubliées nous aiderait à travailler", insiste-t-il.

Pourquoi sont-elles peu traitées par les médias ? 

L'homme est aussi conscient que la crise du secteur de la presse et des médias n'aide pas. "On a constaté, spécialement dans les médias français et allemands, une baisse des budgets pour aller sur le terrain. Tout cela a un impact". D'après lui, la question de "l'accès est aussi une des causes de la non-médiatisation". "Dans notre pays, les journalistes vont recevoir des images, témoignages que les gens ont pris sur leurs téléphones. Mais là on parle de territoires oubliés où il n'y a pas de réseaux sociaux, pas d'internet et encore moins d'électricité", explique-t-il.

D'où l'importance de se déplacer sur le terrain : "Je pense que la médiatisation contribue en partie à la résolution de la crise puisque elle permet de faire pression sur le gouvernement local", rappelle Philippe Lévêque, qui insiste enfin sur le besoin d'aides financières des bailleurs comme l'UE ou les gouvernements pour emmener les journalistes sur place, avec les ONG.