Le paradoxe de la consommation de l'information : "Les fake news séduisent notre cerveau"

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Séverine Mermilliod
Le nouveau numéro du mensuel "Pour l'éco" consacre un article aux paradoxes de la consommation de l'information. Le journaliste Clément Rouget était l'invité de Culture Médias sur Europe 1 pour en parler.
INTERVIEW

"Demandez aux lecteurs ce qu’ils veulent, ils vous diront des légumes. Observez-les, ils mangeront en réalité des bonbons." Cette métaphore, tirée du magazine américain The Atlantic en 2014, pourrait très bien s’appliquer aujourd’hui pour décrire la consommation de la presse. Dans le numéro de mars, le journaliste du mensuel "Pour l'éco" Clément Rouget consacre un article à nos paradoxes de consommateurs d’informations.

Premier paradoxe : nous nous mentons sur nos lectures

"C'est le paradoxe Arte / TF1", détaille le journaliste au micro d'Europe 1. "Dans les sondages on déclare regarder Arte, mais les chiffres d'audience le montrent : on préfère regarder TF1." En 2013, le Reuters Institute a interrogé 11.000 lecteurs à travers le monde sur leurs préférences en termes d’actualité, qui font ressortir les informations économiques, politiques et internationales. En réalité, explique Clément Rouget, "les lecteurs consomment des contenus plus légers. Le premier réflexe d'un américain le matin est de regarder la météo".

Le chercheur américain Pablo Boczkowski et son équipe en ont fait une théorie : ils ont analysé 40.000 articles d’une vingtaine de groupes de presse, et ont noté la différence entre ce que mettaient les médias sur leur une et la demande des lecteurs (les articles les plus lus, souvent les faits divers, le sport, le divertissement et la météo). Ils ont appelé ça le “news gap”, "l’écart informationnel", précise le journaliste.

Deuxième paradoxe : BFM TV

Selon Clément Rouget, "au moment de la crise des gilets jaunes, BFM TV est de loin la chaîne d'information la plus regardée. Et en même temps elle baisse d'un point sur 10, ce qui est considérable, sur le critère de la confiance des Français dans la chaîne." Mais il est difficile d'expliquer pourquoi, estime le journaliste, d'autant que la chaîne reste encore l'une des plus regardées des chaînes d'information en continu avec plus de 50% de parts de marché.

Un phénomène qui se constate aussi, selon le journaliste, sur les réseaux sociaux, sur lesquels on lit de plus en plus d'information (de 18% à 42% de la population depuis 2013 selon le Reuters Insitute), même si on ne la trouve pas fiable (en France, un taux de confiance de 14% seulement).

Troisième paradoxe: les fake news

Nous voulons lutter contre les fake news… tout en les partageant. "Une fake news a 70% de chances de plus d'être partagée" qu'une information vérifiée, rappelle Clément Rouget. Et 59 % des liens partagés sur les réseaux sociaux le sont sans que les internautes aient lu le contenu, selon une étude menée par l'Université de Columbia en 2018. "Parce qu'elle sont plus spectaculaires, on leur donne une audience démesurée."

Si le phénomène a, explique-t-il, explosé au moment de la campagne présidentielle américaine de 2016, il semblerait qu'il s'estompe au fil du temps. "Il y a de plus en plus une prise de conscience des consommateurs de leur pouvoir dans les partages", dit-il. Selon les dernières études sur le sujet, "un quart des internautes ont décidé d'arrêter de lire des contenus issus de sources douteuses et 30% de ne pas les partager, donc on avance doucement".

Dans le même temps, des réseaux sociaux comme Facebook luttent activement contre la désinformation, notamment en ce moment à propos du covid-19. "On peut espérer gagner à terme cette bataille, mais ce sera certainement long tant les fake news séduisent notre cerveau", estime Clément Rouget.

Le coût de ces informations pour la société est par ailleurs estimé à "74 milliards de dollars en 2019", selon un rapport de l’université de Baltimore.

Quatrième paradoxe: qualité ou gratuité ?

Le lecteur veut de la qualité, mais il semble aussi vouloir de la gratuité. Comment peut-on faire quand on sait que la bonne information a un coût ? "C'est tout le problème de la presse. Avec le coronavirus, on a des médias qui n'ont jamais été autant écoutés, et en même temps, les annonceurs ne sont plus là", rappelle le journaliste. "Les Français et lecteurs de médias doivent savoir qu'on ne peut pas avoir une information à la fois de qualité, gratuite, sans publicité ou sans subventions publiques, sans que personne ne paye à un moment donné."

Le numéro de mars de "Pour l’éco" consacre un dossier complet sur ce sujet : "L’information qui en veut ? qui la fabrique ? elle coûte combien ?"