Antoine Deltour et Stéphanie Gibaud ont tous les deux du affronter de nombreux procès. 4:02
  • Copié
Antoine Terrel
Vendredi, dans Culture Médias, deux lanceurs d'alerte sont revenus sur leur expérience, et sur les conséquences de leur prise de parole. Et portent un regard différent sur l'impact de la médiatisation sur leur situation. Pour Stéphanie Gibaud, "la médiatisation en aide certain, en assassine d'autres". 
INTERVIEW

Faut-il médiatiser l'action des lanceurs d'alerte ? Une fois les affaires ébruitées dans la presse, ces derniers sont-ils suffisamment protégés face à la riposte des puissants groupes mis en cause ? La question divise, mais reste au cœur du travail de la Maison des lanceurs d'alerte, association créée en 2018 et qui se consacre à la protection de ces personnes révélant des informations sensibles. 

Antoine Deltour : "Ça a permis de mobiliser de larges soutiens" 

Antoine Deltour est à l'origine de la retentissante affaire des LuxLeaks. Pendant des mois, cet ancien employé d'un grand cabinet d'audit au Luxembourg a travaillé avec des journalistes du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), leur transmettant des documents confidentiels prouvant des accords fiscaux passés entre des multinationales et l'administration fiscale luxembourgeoise. "J'ai copié des milliers de pages d'accords fiscaux confidentiels que j'ai transmis à un journaliste du ICIJ, et ça a déclenché des révélations dans la presse mondiale", se souvient-il. 

Le Vosgien a ensuite du affronter la plainte de son ex-employeur. "J'ai fait l'objet d'une inculpation au Luxembourg pour cinq chefs d'inculpation qui me faisait risquer 10 ans de prison et 1,3 million d'euros d'amende", rappelle-t-il. Mais dans son cas, la médiatisation "a permis de mobiliser de très larges soutiens qui se sont montrés très actifs, ont permis de collecter de l'argent pour financer ma défense". Le lanceur d'alerte sera finalement acquitté.

Mais Antoine Deltour reconnaît que lancer l'alerte "peut mettre dans des situations très difficiles", et estime que lui-même a eu "plutôt une chance par rapport aux autres lanceurs". Car les lanceurs d'alerte, "en plus de s'exposer à des poursuiteuse judiciaires", peuvent "souffrir d'une dégringolade de leur employabilité sur le marché du travail". Et s'il a retrouvé du travail en changeant de secteur, il explique que s'il cherchait un emploi au Luxembourg ou dans un cabinet d'audit, ça serait très difficile".

Stéphanie Gibaud : "La médiatisation en aide certains, en assassine d'autres" 

Stéphanie Gibaud, elle, continue de payer les conséquences de son alerte. Cette ex-cadre d'UBS avait contribué à dénoncer les pratiques du groupe suisse dans une vaste affaire de fraude fiscale. Contrairement à Antoine Deltour, elle n'avait pas fait le choix de passer par la presse. "Je ne suis jamais allé vers les médias. Toutes les alertes que j'ai faite, je les ai faite selon la Loi Sapin, c'est à dire une alerte graduée, en entreprise, auprès des dirigeants". C'est plus tard, après qu'elle ait porté plainte contre son employeur, puis après son licenciement, que son cas deviendra médiatisé. D'autant plus qu'à ce moment-là, un livre du journaliste Antoine Peillon met en cause la banque suisse.

Des années après, Stéphanie Gibaud constate que dans son cas, la médiatisation, subie, lui a porté préjudice. "La médiatisation en aide certains, mais en assassine d'autres", regrette-t-elle. "J'en suis toujours à me demander qui a donné mon nom aux médias et pourquoi ?" Et de poursuivre : "Ai-je été capable de retrouver du travail ? Non. Je vis sans revenus depuis huit ans. Y a-t-il eu des comités de soutien ? Non. Est-ce que le procès UBS a mobilisé les foules ? Non. C'est intéressant de voir que des dossiers mobilisent et d'autres non."

"Généralement, on ne conseille pas aux personnes d'être médiatisées"

Qu'en pense-t-on du côté de la Maison des lanceurs d'alerte ? "Généralement, on ne conseille pas aux personnes d'être médiatisées", explique Jean-Philippe Foegle, coordinateur de la structure, car "dans beaucoup de cas, cela peut nuire aux personnes". Souvent, poursuit-il, "les personnes qui ont retrouvé un emploi sont celles qui ont révélé à des journalistes de manière anonyme et ne sont pas traçables". Cependant, nuance-t-il, "dans certains cas, cela peut aider, quand ça concerne des grandes entreprises où les personnes peuvent être mises en danger en interne".