Instagram et la nudité, enquête sur un paradoxe

  • Copié
Cyril Lacarrière, édité par Séverine Mermilliod , modifié à
Les journalistes Judith Duportail et Nicolas Kayser-Bril ont publié une enquête dans Médiapart qui s'intéresse aux biais algorithmiques d'Instagram. Selon leurs découvertes, le réseau social privilégierait les images dénudées, avec un taux d'exposition 1,6 fois supérieur pour les femmes et 1,3 pour les hommes.

Médiapart a publié lundi une enquête sur Instagram où l'on apprend que moins vous portez de vêtements, plus vous serez vus. C’est le paradoxe de la plateforme américaine, propriété de Facebook : interdiction de s’y montrer nu, et même interdiction d’y voir une œuvre d’art où serait représentée un sexe ou des seins… et pourtant, l’algorithme d’Instagram comporterait des biais inattendus. Les journalistes Judith Duportail et Nicolas Kayser-Bril se sont plongés dans les secrets du réseau social.

Une "prime à la nudité"

"On est partis du constat que nous ont remonté plusieurs influenceurs et influenceuses - des personnes qui utilisent Instagram pour promouvoir leur activité professionnelle, qui n'a rien à voir avec le mannequinat, les maillots de bain ou tout ce qui pourrait justifier de poser un peu déshabillé. Ces jeunes femmes nous confiaient qu'elles faisaient exprès de ne plus poster que des photos en maillot ou soutien-gorge, ou en culotte, parce que c'était le seul moyen d'attirer de l'audience sur leur compte ou leur page", raconte Judith Duportail.

"On a exploré ce constat-là en analysant 2.500 images et en calculant le taux d'exposition des images où les personnes étaient dénudées, et celui des autres. Le constat, c'est qu'une photo où une femme est déshabillée a 1,6 fois plus de chances d'être montrée, et pour les hommes 1,3."

"Tout ce que vous avez à dire sera toujours moins important que votre corps"

En France, 20 millions de personnes utilisent Instagram. Et même si Facebook et toutes les autres plateformes s’en défendent, ces réseaux sociaux sont bien devenus des médias à part entière. Et qui dit médias, dit responsabilités. C'est pourquoi ce biais dit des choses du fonctionnement d'Instagram et de son algorithme.

"C'est important parce que l'algorithme d'Instagram définit une sorte de ligne éditoriale implicite qui influence nos choix, et fait qu'on s'exprime d'une façon ou d'une autre. Là, le message envoyé à toutes les femmes sur Instagram est limpide : tout ce que vous avez à dire sera toujours moins important que votre corps", s'indigne Judith Duportail. "Et quand on sait que la majorité des utilisatrices d'Instagram sont des jeunes femmes et des très jeunes filles de 13, 14 ans, je me demande :'Est-ce que c'est ça, le message qu'on a envie de faire passer aux femmes dans la société aujourd'hui ?'"

Qu'est-ce que le "shadow ban"

En lisant cette enquête, vous découvrirez encore un autre phénomène, celui du "shadow ban", c’est à dire la radiation de l’ombre, ou comment des personnes de couleur, des personnes fortes, handicapées ou LGBT, peuvent être empêchées de promouvoir leurs posts sur Instagram au seul motif qu’ils ne correspondent pas à des critères établis.