Bruno Patino. 1:04
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Aurélie Dupuy
Le directeur éditorial d'Arte, spécialiste du numérique, publie "La civilisation du poisson rouge". L'ouvrage explique les mécanismes d'addiction aux smartphones, qui captent l'attention même quand le cerveau est déjà occupé.
INTERVIEW

Le poisson rouge aurait une mémoire défaillante et un temps d'attention de huit secondes. Partant de ce postulat, Bruno Patino, directeur éditorial d'Arte France, doyen de Sciences Po et spécialiste du numérique, vient de publier La civilisation du poisson rouge, en référence au temps d'attention des nouvelles générations. Smartphone à la main, ces dernières auraient un temps d'attention plus élevé seulement d'une seconde que les habitants des aquariums ! Invité du Grand journal de Philippe Vandel, l'auteur a expliqué sa théorie qui veut qu'"une seconde nous sépare du poisson rouge".

Comme une machine à sous : une réponse aléatoire...et addictive

Au cœur de son ouvrage, Bruno Patino s'appuie donc sur les neurosciences et notamment sur une autre expérience faite cette fois avec des souris de laboratoire. L'expérience démontre qu'une souris qui reçoit de la nourriture de façon aléatoire en appuyant sur un bouton se met à appuyer sur le bouton de manière frénétique, qu'elle ait faim ou non ou qu'elle ait des provisions d'avance ou pas. L'écran du smartphone, notamment sur les réseaux sociaux, agit de la même façon que le bouton poussoir : on y revient frénétiquement, quel que soit ce qu'on y trouve. "Le mécanisme de la machine à sous aléatoire fait que, de façon compulsive, on les consulte, y compris quand on n'en ressent pas le besoin."

Entendu sur europe1 :
J'ai vu que je n'arrêtais pas mon portable quand je le voulais. C'est un système qui tient à la dépendance

C'est de cette manière que sont dessinés les réseaux sociaux, souligne le spécialiste : "de façon à nous rendre addict" avec des sollicitations permanentes, faites entre autres de fils d'actualité et de notifications, afin de capter notre attention éphémère. Bruno Patino a fait l'expérience sur lui-même. "J'ai vu que je n'arrêtais pas mon portable quand je le voulais. C'est un système qui tient à la dépendance. Des vrais mécanismes de dépendance sont en jeu avec notre portable et certaines applications", assure le spécialiste qui ne confond pas l'internet global avec les applications en cause. 

Au-delà du 'temps de cerveau disponible'

On pourrait par ailleurs objecter que le temps passé sur un smartphone paraît logique au vu de ces qualités de couteau-suisse qui remplace par exemple la télé, une carte routière ou la presse papier. "Ce qui change, c'est que le portable nous sollicite quand on est préoccupé à faire autre chose", ajoute Bruno Patino, ce qui va donc plus loin que le devenu célèbre 'temps de cerveau disponible' puisque l'utilisateur, toujours connecté, est sollicité alors même qu'il n'était a priori pas disponible. "Ça nous détourne de la tâche qu'on est en train de faire et ça baisse la qualité de ce que l'on est en train de faire", résume Bruno Patino qui y voit un danger aussi bien personnel que sociétal.